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Pourquoi je n’irai pas à « la marche républicaine »

Le drame des attentats contre Charlie Hebdo et contre le supermarché casher de la porte de Vincennes révolte la conscience. L’indignation qui en résulte est bien légitime. Que resterait-il d’humanité en nous, si nous n’éprouvions pas de répugnance face à un tel déferlement d’horreur ?

Il n’y a donc a priori que de bonnes raisons pour avoir envie d’extérioriser sur la place publique notre compassion devant l’abject et notre résolution à ne pas se résigner.

Sans doute. Pourtant, dans cette communion nationale, quelque chose n’est pas clair.

C’est dans l’arrière fond, dans les souterrains nietzschéens, dans le ressort idéologique souvent inconscient, dans la superstucture marxiste, que la légitimation se trouble jusqu’à s’opacifier. Plusieurs points, à cet égard méritent d’être évoqués.

  • L’attentat contre Charlie Hebdo évoque, certes, une atteinte à la liberté d’expression. Mais, n’est-ce pas avant tout des meurtres dont il s’agit ? Est-ce que l’assassinant de douze personnes n’est pas un motif suffisant pour susciter de l’émotion, pour que l’essentiel des réactions porte sur le seul rapport à la liberté ? L’indignation qui se cristallise dans la sphère médiatique comme dans l’opinion s’est trouvée un slogan : « Je suis Charlie »… Comme si l’atteinte à un média était plus importante que les victimes. Peut-on croire que ces dernières se définissaient davantage comme caricaturistes que comme être humain ? Au vrai, il importe peu que le ressort de l’attentat fut une vengeance contre les idées véhiculées par l’hebdomadaire. Lorsqu’un mari tue sa femme par jalousie, cela reste un drame domestique, et non une atteinte à la femme en général. La confusion présente n’est cependant pas anodine.
  • L’arrivée massive du personnel politique dans ces mouvements publics me laisse perplexe. La sécurité publique est de moins en moins assurée… alors qu’elle est dévolue tout entière à l’Etat. Il y a là un échec déplorable des politiques et des services administratifs de renseignements (voir article). Avons-nous pour autant entendu un mea culpa ? Absolument pas. François Hollande a entrepris, depuis les voeux du Nouvel An, de nous dire quelle attitude les Français doivent avoir devant la crise et les difficultés (en restant optimistes), et désormais devant les attentats (en restant debout)… mais en oubliant qu’il est entièrement responsable, comme tout le personnel politique.
  • L’islamisme est un fléau mondial. Mais comment ne pas voir qu’il s’est propagé en France dans les banlieues, dans les écoles, dans les prisons, dans les mosquées, au coeur même de la nation, et que des imams fanatisés déversent tous les jours dans leurs prêches le fiel contre la France et ses institutions ? Notre pays, par l’abdication de son identité, la création des banlieues, le renoncement à légiférer sur l’immigration inassimilable, a favorisé l’émergence et la propagation de ces dérives. Comment alors situer « la marche républicaine » dans ce fatras de responsabilités et d’échecs ?
  • « La marche contre la terreur et pour la liberté »… C’est un slogan extrêmement fort… comme les affectionnent tant les thuriféraires droit de l’hommistes… Soit. Mais on entend aussi dans le déversoir médiatique les éléments de langage du politiquement correct : « Attention aux amalgames… Il n’y a qu’une poignée de déviants fanatisés. Surtout ne pas généraliser… » C’est entendu. J’aurais alors besoin que l’on m’explique comment peut-on se mobiliser par millions pour un fait accompli ayant une si faible base militante. Si il est vrai que c’est une poignée de fanatiques qui est en cause, leurs crimes s’apparentent à du droit commun. Je ne vois guère comment la société pourrait se sentir menacée… Cette contradiction est essentielle.
  • Ainsi donc, au regard des différences de traitement de certains faits, nous pouvons les hiérarchiser ainsi : Manifestement, tuer des caricaturistes est un drame national qui mobilise la population. En revanche, les trois enfants juifs que Mohamed Merah a tués (et les sept personnes au total)… méritent certes, un traitement particulier, mais pas la grande communion dans la rue.

« La marche républicaine », les slogans et les émotions médiatiques ont en réalité une seule vertu : Ils permettent d’agréger une population privée de tout repère normatif que la société post-moderne ne peut plus proposer. Ils créent le réflexe de protection de la société en danger. Ils nous confortent dans l’idée que nous avons à sauver notre modèle. On se gargarise des peurs fantasmées pour resserrer les rangs. Nous sommes en pleine auto-fabrication du mythe.

Mais le mythe est écorné. Car de modèle, il n’y en a pas. Et nous ne pourrons pas encore longtemps nous contenter des quelques expressions politiques éculées en guise de valeurs. La société se perd non à cause de ses ennemis, mais à défaut d’exister dans le champ de la représentation symbolique normative et culturelle. Elle n’est qu’une coquille vide parée des vertus de la République…

 

En complément, voici deux articles éloquents en cette occurrence : 

Philippe Bilger : Pourquoi je ne participe pas à «la marche républicaine» (Le Figaro 11 janvier)

– Jean-Pierre Le Goff : «Le désir d’union ne doit pas nous empêcher d’affronter la réalité» (Le Figaro du 10 janvier)