Réflexions pour un avenir

Accueil » Posts tagged 'Désagrégation du lien social'

Archives de Tag: Désagrégation du lien social

Que signifie l’élection de Donald Trump ?

L’élection de Donald Trump peut être lue de manière purement électoraliste, ainsi qu’au regard des peurs de la société. Mais ces commentaires passent désormais en boucle dans les médias. Il me semble bien inutile d’y ajouter quoi que ce soit. Ce serait de l’enfermement dogmatique… Peu importe donc les heureux et les malheureux qui se répandent sur les réseaux sociaux. Ils ne nous donnent rien de la réalité des mouvements de fond des sociétés occidentales.

Je vous propose deux articles qui essaient de prendre le champ nécessaire. C’est à une refondation philosophique que nous sommes appelés. Rien de moins…

Le premier est celui du sociologue canadien Mathieu Bock Côté publié dans le Figaro de mercredi 9 novembre et intitulé «La révolution Trump est une forme de référendum antisystème»

Le second est un article que j’ai fait paraître sur le site d’information Basting News, et intitulé « Election de Donald Trump : Une signification bien plus grande que sa dimension électorale« .

Bonne lecture.

Introduction à une recomposition sociétale

Alors que depuis des décennies, la France s’enlise dans une politique quasiment constante d’impuissance à réformer, d’incapacité à poser les questions de l’identité de la France autrement qu’en reprenant l’antienne des droits de l’homme, de course-poursuite des gouvernements derrière une mondialisation non contrôlée, d’une gabegie budgétaire indécente, d’une lente mais constante déclassification de la nation française, le personnel politique, lorsqu’il parvient à l’orée d’une nouvelle échéance électorale, croit encore possible – et tente d’imposer comme discours indépassable – le mythe de la promesse et le cantonnement politique dans sa sphère traditionnelle (redonner confiance, faire baisser le chômage, retrouver la croissance, rassembler les Français, résorber les inégalités…).

Pourtant, de multiples signes sont apparus depuis des années, et apparaissent encore qui contredisent une doxa de plus en plus inaudible :

– L’inexorable montée du Front National, d’élections en élections (je ne participe pas à sa diabolisation, mais je place sa progression comme une réponse populaire à la désarticulation du pays) ;

– L’échec de l’intégration des étrangers (qui se communautarisent en arrivant en France, plutôt que de désirer participer à la vie du pays) ;

– La perte identitaire d’un peuple qui n’a plus aucune fierté d’être français et éprouve même une gêne devant les symboles nationaux ;

– L’exil hors de France de plus en plus massif des jeunes diplômés ;

– Les résultats catastrophiques de l’enseignement, laissant chaque année des centaines de milliers de jeunes sans diplôme et dévalorisant la qualité des formations par la massification de la course aux titres ;

– L’affaiblissement de la voix de la France sur la scène internationale, en dépit de sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU ;

– Le déclin inexorable de sa compétitivité économique et de son industrie ;

– La fiction maintenue d’un modèle social français (qui serait tellement supérieur à celui de tous les autres Etats du monde mais  que personne ne voudrait reprendre…).

A ces constats devenus ritournelle, il faut ajouter – ce qui est nouveau et donne le sens de l’ampleur de la situation – le discours de plus en plus clair et alarmant de nombreux intellectuels (philosophes, politologues, sociologues…) se relayant pour attirer l’attention sur les risques d’implosion voire de destruction violente de la société. Les exemples sont légion, même s’il faut admettre que les divergences  des courants de pensée dont se réclament ces intellectuels interdisent toute possibilité d’en agréger les theoria : Alain Finkielkraut, Pierre-André TaguieffRégis Debray, Alain Badiou,  Alain Minc, et quelques autres, récemment morts comme Jean Baudrillard. La mise en cause de la société dans ses fondements, dans ses représentations, dans son identité, et quelles qu’en fussent les causes pointées par la réflexion philosophique et sociologique, interpelle d’autant plus que l’on sait, depuis les Lumières, que les grands bouleversements sociétaux, le changement social, sont toujours précédés par une critique intellectuelle de la structure idéologique de la société.

Force est pourtant de constater qu’aucun impact sur le champ politique ne peut être relevé. Le personnel politique ne semble mû que par le calendrier électoral duquel il tient sa survie. C’est ainsi qu’à chaque échéance, il réinstaure la production du discours des temps nouveaux,  du « il faut faire » comme listage des réformes purement formelles à accomplir, sans jamais tenter une approche sous l’angle des grandes orientations sociétales. Et, une fois les élections remportées, avec la verve de l’oublieux, la nouvelle majorité se contente de pétition de principe, de justification des échecs et du « ça ira mieux demain ». C’est en définitive l’opposition qui, du fait de sa distanciation forcée avec le pouvoir, apparaît toujours comme ayant une vision plus juste de la réalité d’une société malade, mais qu’elle oubliera très vite lors de l’alternance suivante.

On aura évidemment bien compris que le système politique, essentiellement fait pour gratifier son personnel des privilèges du pouvoir et des honneurs, n’est pas en mesure de se soumettre au questionnement de sa propre perte et d’en tirer les conséquences. Les élites politiques n’ont d’existence qu’à travers les postes et les fonctions qu’ils convoitent à tour de rôle. Comment pourraient-ils accepter la disparition du système avant même d’y accéder ?

Mais si ce n’est pas des hommes politiques dont il faut attendre le sursaut, si ce n’est pas du système démocratique, électoral, institutionnel, dont il faut attendre la capacité de mise en oeuvre du questionnement philosophique de la société (cf le distingo entre démocratie formelle et démocratie réelle par Alain Badiou), alors de qui doit venir cette prise de conscience en action ? Qui doit initier ces débats ?

A dire vrai, notre société, dont on prétend qu’elle a investi le champ de la communication sans limite, n’est en rien contrainte par cette liberté de parole. Il est notable de constater que la production des opinions et sa diffusion à grande échelle, n’ont pas modifié la hiérarchie du discours légitime. Le flot ininterrompu des idées particulières s’auto-détruit par l’infinité de son volume, par l’indifférenciation qualitative. Certes, le pire côtoyant le meilleur, un filtre semble bien nécessaire. Le problème, c’est qu’il ne subsiste que les discours officiels, consensuels, pro-système, repris dans les grands médias acquis eux-aussi à la survie du système. Or ces discours sont précisément ceux qui se contentent le plus souvent de commenter la superstructure de la société, sans jamais en atteindre l’infrastructure, pour reprendre cette distinction marxiste essentiellement juste. On pourra cependant objecter que les auteurs et intellectuels cités supra, sont eux aussi médiatisés et ont un accès privilégié, en surbrillance, au champ de la communication. Sans doute ; mais ils sont le plus souvent isolés, réduits à n’être que leur propre représentant. Et le temps des grandes figures philosophiques des années 60-70 est bel et bien révolu. Personne ne semble en mesure de porter sa parole à un degré suffisant de légitimité pour obtenir une audience réellement décisive, faisant autorité. La relativisation de toute chose – autre élément fondamental pour comprendre la société d’aujourd’hui – interfère sans cesse dans la production des idées pour leur enlever leur valeur intrinsèque et les laisser dériver dans une contingence universelle.

Pourtant, le bon sens des peuples perçoit nettement le besoin de réflexion et de recul intellectuel pour penser la société, la restaurer et redonner une assise normative à la vie collective. Peut-être pour la première fois dans l’Histoire de l’homme, c’est du tout un chacun que vient cette intuition que nous ne pouvons pas nous passer d’une structure morale qui pose les barrières, explique le sens que la majorité du peuple entend donner à son existence. Etrangement, les élites intellectuelles ont perdu leurs prérogatives et leur légitimité propre. On doit désormais les solliciter.

A ce titre, je suis persuadé que les grandes questions qui fonderont notre devenir national devront faire l’objet de débats, de groupes de réflexion de type think-tank. Il faut forcer le trait, avoir de l’ambition, dépasser la contrainte du bruit de fond médiatique.

La France est une belle nation, qui a forgé son identité au cours de sa très longue histoire. Certains voudraient l’ignorer, considérer que la Révolution, en instaurant un système idéologique démocratique a mis fin à l’Histoire (voir en cela la théorie de Francis Fukuyama). Mais nous ne pouvons plus ignorer que les problèmes qui se posent à nous dans le temps présent, nécessitent des décisions et des choix qui ne pourront être pris qu’en ayant renoncé au préalable au sens commun et aux évidences.

Une analyse politique des élections européennes et une mise en perspective

Les résultats des élections européennes ont suscité tous les commentaires possibles, et le plus souvent, assez justement, d’ailleurs, quant ils l’étaient de la part des politologues et politistes. Le personnel politique, malheureusement, a depuis bien longtemps cessé de produire un discours analytique, se contentant de pétitions de principes et de stéréotypes très en deçà de la situation.

Toutefois, l’analyse des résultats, réduite à une photographie des données numériques ou à des rapports de force politiques – quelle qu’en soit sa pertinence – ne peut rendre compte à elle seule de l’importance extrême du drame qui se noue dans notre pays, de scrutins en scrutins. Mais à dire vrai, ce niveau de réflexion réclamé par un nombre toujours plus grand d’intellectuels, nécessite un profond et inusuel questionnement de la destinée de la France en tant que peuple, dans ses occurrences culturelles, historiques, intellectuelles, et en tant que nation parmi les autres nations, d’abord européenne, mais incluse dans une mondialisation dont on ne sait toujours pas s’il faut s’y résigner, la souhaiter ou s’en extraire.

Je voudrais esquisser ici quelques idées force concernant ces questions, en commençant par un commentaire des résultats.

1. Pour une lecture dépassionnée des résultats électoraux du 25 mai

Certes, il serait bien peu crédible de tenter de minorer les résultats du Front National. A 25% et 24 sièges, il est de loin le vainqueur de ces élections.

Toutefois, il convient de replacer ce scrutin dans un contexte d’analyse. Depuis au moins deux décennies, les élections européennes connaissent des résultats toujours en marge des scrutins nationaux. Deux raisons président à cela : Qu’on le veuille ou non, les élections européennes ne sont pas considérées comme de premier ordre. Les hommes politiques qui s’y présentent sont généralement dépourvus de mandat parlementaire national ; les campagnes électorales se singularisent essentiellement par un recentrage systématique des débats sur la sphère nationale ; Les électeurs eux-mêmes considèrent cette entité européenne comme lointaine et peu incarnée ; la multiplication des micro listes dont certaines frisent le ridicule, relativise encore l’enjeu. Un tel contexte favorise clairement un certain détachement, une désinvolture dans le vote, voire même une tendance au défoulement. Dès lors, il convient de prendre avec une certaine précaution les résultats – quels qu’ils soient. Du reste, le taux d’abstention toujours extrêmement élevé est un élément supplémentaire de relativisation. Le scrutin de liste supra-régional supprime toute identification des élus et contribue à une abstraction considérable. L’acte électoral ne prend pas la même importance lorsqu’il est effectué pour un candidat connu, local ou national ou pour une liste de noms souvent inconnus. La supra-régionalité ne correspond à aucune entité géographique singulière et renforce encore cette impression de peu d’importance.

A cela s’ajoute le fait que le vote de la France ne concerne que 74 députés sur un parlement qui en compte 766. A moins de 10%, l’inconscient collectif suppose naturellement (alors même que la réalité est autre) que la voix de la France sera en quelque sorte inaudible. Même s’il est entendu que les parlementaires européens ne sont pas élus pour défendre les intérêts de leur pays, les électeurs n’ignorent pas que les intérêts nationaux ne sont jamais bien loin, et que les conseils européens démontrent que les positions défendues sont le plus souvent nationales. Or, le peu d’intérêt pour une élection rend plus indifférent le résultat et plus probable le vote défouloir.

Si on agrège l’ensemble de ces données (faible participation, faible enjeu ressenti, notions européennes mal assimilées, quasi-absence de personnalités politiques de premier plan parmi les élus), les résultats ne peuvent être interprétés comme un tableau réaliste des rapports de force politiques dans l’opinion publique. Je ne dis absolument pas cela dans le but de relativiser les conséquences de la nette prédominance du Front National (comme le personnel politique a tendance à le faire de manière tout à fait déplorable). Mais la seule évocation des résultats chiffrés comme fait politique serait également une erreur fondamentale.

Au demeurant, il convient également de tenir compte des conséquences en termes de représentation des forces politiques au sein de la nouvelle assemblée. Or, le Front national est une force politique exclusivement française, contrairement à l’UMP ou au PS, que l’on peut assimiler aisément aux autres partis européens (démocrates Chrétiens, sociaux démocrates, libéraux…). Par la nature même de son identification politique, le FN représente des intérêts exclusivement nationaux.

Il s’avère même que son influence ne sera que très marginale puisqu’il ne semble pas pouvoir constituer un groupe à défaut d’être parvenu à s’allier avec le parti anglais UKIP.

La majorité au Parlement européen ne s’est donc pas trouvée modifiée par l’arrivée de contingents nationalistes de plusieurs Etats membres, puisque ce sont toujours les deux partis traditionnels du PPE (plutôt à droite) et le PSE (socialiste) qui se taillent la part du lion.

En d’autres termes, si la victoire du Front National est importante et doit nous donner l’occasion de nous interroger sur l’évolution du système politico-institutionnel français, nous ne pouvons pas en conclure qu’il est désormais le premier parti de France à la seule analyse des résultats de ce scrutin. Aucun changement n’étant par ailleurs à attendre du fonctionnement des instances européennes… on peut en conclure que le vacarme médiatique consécutif à ces résultats n’était pas réaliste.

Mais je crois que les leçons que l’on peut en tirer ne sont pas celles du champ de la science électorale. On peut en effet analyser les résultats dans une autre perspective, celle de la structuration de la nation française. Et en cette occurrence, nous pouvons alors considérer que l’évolution en cours renferme les germes d’une rupture à venir.

2. Mise en perspective des résultats au-delà du champ de la science électorale

Les scores de l’UMP et du PS signent la désillusion manifeste des Français à l’égard de formations politiques jugées de plus en plus incapables d’assurer la prospérité de la France. En effet, pour des partis qui entendent représenter l’essentiel du champ politique, obtenir de tels scores confine à l’humiliation. De scrutins en scrutins, nous assistons à la fois à une augmentation significative de l’abstentionnisme et du vote sanction, non contre un parti, mais contre un système, un personnel, une doctrine politiques.

Trop de commentateurs politiques ont encore le réflexe de se fourvoyer entre deux analyses des résultats du FN. Soit on crie au loup en évoquant les chiffres électoraux comme autant de menaces préfabriquées contre l’ordre social, la paix nationale et les institutions, en envisageant une victoire future du FN comme le début de la fin. Soit au contraire, on cherche à montrer que les électeurs du FN sont des désespérés et non des idéologues, qu’il convient en dernière analyse de convaincre de l’inanité de leur choix, que leur mauvaise humeur est à mettre sur le compte de la crise et que diminuer le nombre de chômeurs est la solution universelle.

Dans un cas comme dans l’autre, l’erreur fondamentale, à mes yeux, est de ne pas considérer le phénomène en tant que désagrégation sociétale. A force de traiter les résultats électoraux en tant que tels, sans remettre en question la capacité de la société française à produire un discours identitaire, culturel et fédérateur, à force de s’interdire d’adopter un point de vue structuraliste propre à identifier les causes intrinsèques de l’affaiblissement du contrat social, un écart est apparu entre le ressenti de la population et l’explication produite par la sphère des élites.

Durkheim découvrant la notion d’anomie dans l’explication du suicide, montre que tout individuel que soit cet acte, une corrélation existe avec l’évolution du taux de cohésion sociale. Déterminer un tel lien nécessite de s’affranchir des lieux communs. C’est le propre de la sociologie. Ce devrait être aussi celui de la science politique. Il en est de même dans l’appréciation du vote Front National. L’anomie dont la France souffre dépasse de loin la cause circonstancielle ou conjoncturelle. Elle est un affaiblissement inexorable de la confiance dont un peuple doit gratifier ses dirigeants et ses institutions. Elle procède d’une perte de repère globale.

Il n’y a plus de réponse aujourd’hui, à la question « qu’est-ce qu’être Français ? » Les politiques contournent inexorablement la question en répétant que notre identité est la démocratie, les droits de l’homme, la république, la Révolution. Non seulement cela ne nous identifie aucunement par rapport à toutes les autres nations occidentales, mais encore cette production sémantique ne vaut plus rien à l’aune d’une société privée de la structuration minimale qu’un peuple attend de l’Etat qui est le sien, à savoir, la sécurité de la vie quotidienne, les valeurs culturelles de reconnaissance entre les individus, les modes de vie infra-territoriaux différenciés et valorisés, la représentation symbolique de ce qui est positif dans l’identité nationale, la culture de l’effort de chacun au service de la communauté.

Il ne s’agit aucunement de faire l’apologie de l’enfermement du pays – il faut l’indiquer pour ne pas être mis à l’index du progressisme intellectuel – . Il suffit en revanche de considérer comment les autres nations qui nous sont proches en termes de développement, de niveau de vie, d’assise territoriale (Royaume-Uni, Allemagne…), ou sur le plan civilisationnel (Etat-Unis…) considèrent la production du discours idéologico-normatif, comment les signes de l’appartenance à une nation sont présents dans les territoires, pour se convaincre que la France a détruit l’essentiel de ce qui est le substrat identitaire d’elle-même.

Depuis la Révolution, notre pays s’est convaincu, par un discours universaliste et idéologique, que les principes philosophiques suffisaient à faire une nation, et même permettaient de rechercher par la guerre la destruction des autres formes de pouvoirs étatiques qui n’y adhéraient pas. Erreur fondamentale s’il en est. Un peuple est d’abord une somme d’individus dont la préoccupation première est leur propre vie et celle de leur proches. Or, une vie réussie, c’est une vie reposant sur des habitus, dans un cadre apaisé, avec la conscience claire de ce que l’on doit à l’Etat et le désir de lui en être reconnaissant.

Une telle évocation semble incroyable, en France, alors qu’elle est un prédicat de la conscience nationale de nos voisins et de la très grande majorité des Etats.

Les scores de plus en plus importants du Front National peuvent alors être analysés comme une réponse au mal-être d’une population déracinée de ses ancrages identitaires et culturels au profit d’un universalisme sans contenu, purement théorique et systématiquement censeur de toute spontanéité que le dogme entend extirper de la conscience individuelle par « l’éducation » et « la loi ».

C’est très exactement par cette interprétation que l’inquiétude sur l’avenir devrait être la plus grande. Car les masses déracinées sont révolutionnaires par nature.

Pour en finir avec la culpabilisation du peuple français !

En préambule de cet article, je voudrais poser une question… conséquente : Est-il possible, en France, de défendre une position générée par une personnalité du Front National ou en lien avec un point de vue défendu par ce parti sans être fiché comme thuriféraire d’extrême droite ? Au vu des articles consternants ayant suivi l’élection d’Alain Finkielkraut à l’Académie Française, on peut en douter. Eh bien ! La résistance contre toute forme d’oppression étant par nature justifiée, je passerai outre le terrorisme de la pensée, car la recherche de la vérité et la réflexion ont toujours eu un prix à payer. Je n’hésite donc pas…

Les médias – comme il fallait s’y attendre – se focalisent désormais sur les mairies ayant une majorité Front National. La démocratie a pourtant parlé lors des Municipales : aucun bureau de vote n’a été pris d’assaut par un candidat ou un parti, aucune arme à feu n’a été retrouvée dans les isoloirs… mais, comme d’accoutumée, certains ne veulent pas admettre les résultats… C’est même au nom de la démocratie qu’ils s’insurgent de l’élection de certaines listes et que des comités de vigilance ici et là se forment pour contrôler les abus qui ne manqueront pas d’être commis ! Comment accepter un tel discours ? Comment ne pas être écoeuré par de telles pratiques totalement ineptes dans le cadre d’une vieille démocratie apaisée ? Comment ne pas considérer que l’argument démocratique brandi comme s’il était en péril n’est que le leurre d’une société dont des groupes se sont arrogés le monopole de la bonne pensée et des vérités d’évidence ? Peu importe qu’il y ait ou non cohérence du discours avec la réalité, peu importe de ce que souhaite la majorité des électeurs. La bonne pensée a toujours raison. Elle sait ce qui est bon, et se donne même comme vocation de redresser les mal-pensants.

A Villers-Cotterêt, le maire Franck Briffaut a décidé de ne plus commémorer l’esclavage dans sa commune. A priori, il en a le droit. Las ! les bonnes âmes s’en sont émues en évoquant les sempiternels refrains légitimes par nature (il est normal de commémorer l’esclavage ; ne pas vouloir le faire, c’est du racisme). Le tout avec la larme à l’œil de la repentance (pour les horribles crimes coloniaux) et la vocation de prophylaxie sociale (pour l’éducation des citoyens récalcitrants).

Posons un instant un esprit critique sur la situation :

1)      La société s’est coupée de ses racines historiques, culturelles et spirituelles en prétextant la libération de l’individu des « chaînes de sa servitude ».

2)      Mais la démocratie ne suffit pas à former les esprits. Il faut donc des références idéologiques. On invente alors des principes supérieurs qu’on totémise.

3)      Pour agréger les esprits, on créé des conflits (quand il y a des droits ou des principes à revendiquer, il y a une dynamique qui entraîne les masses). De plus, revendiquer, c’est le mode privilégié de la lutte contre une inégalité ou une injustice. La légitimité est donc a priori.

4)      Comme support, on créé de toute pièce des commémorations (en l’espèce, celle en question ne date que de 2007).

5)      A partir de leur création, elles deviennent intouchables. A cette fin, ceux-là même qui luttent à l’envie contre l’obscurantisme religieux, utilisent une mystique quasi-identique pour refuser avec l’énergie du croyant bafoué dans sa foi, toute atteinte à la sacralité de la commémoration.

Certes, le processus est à bien des égards puéril et falsificateur. On se paie notre tête en agitant un chiffon rouge. On se complaît dans des logiques de fausses menaces planant sur la démocratie en tirant des ficelles très visibles et en actionnant les ressorts de la peur ou de la sensiblerie. Mais le résultat est étonnamment en accord avec les objectifs.. Le soupçon s’insinue dans les esprits sur l’objet de la révolte, jusqu’à laisser des traces indélébiles.

On comprend alors comment des propos grotesques puissent être tenus par les opposants au maire de Villers-Cotterêt… avec les accents de la légitimité absolue, alors qu’ils ont été battus aux élections et qu’ils sont minoritaires dans la commune. Mais les cris des opprimés sont toujours entendus…

A titre personnel, je crois que cette habitude de la repentance, du pardon aux anciens peuples colonisés, de la chasse aux racistes et toutes les thématiques corrélatives, sont une menace considérable pour la cohésion du pays. Contrairement à ce que les loges maçonniques ont cru, l’auto-flagellation et la culpabilisation ne servent à rien lorsque le peuple ne se sent pas coupable. Dans l’Allemagne des années 50 et 60, un tel discours était reçu par tout le monde comme une évidence, parce que la population avait été partie prenante au régime nazi à un titre ou à un autre. Décréter en France que nous sommes coupables d’avoir colonisé des pays ou d’avoir pratiqué l’esclavage (aboli il y a plus d’un siècle) est inaudible. Et c’est fort heureux.

 

Une question de légitimité

Quand bien même aurons-nous considéré que l’étalage sur la place publique de la vie privée de nos gouvernants – et d’ailleurs de toute personne publique – n’est pas acceptable, qu’il y a une véritable indécence à flatter le voyeurisme d’une population qui se laisse aisément manipuler par des médias cyniques et enorgueillis de leur pouvoir de nuisance (qu’ils assimilent à du pouvoir en tant que tel), il est indispensable d’y revenir pour en analyser les causes et les conséquences à l’aune d’un état de fait que l’on ne peut plus ignorer.

Un irrépressible réalisme. Sans doute aurait-on voulu que les choses fussent autres. Un monde idéal dans lequel on ne cherche pas à nuire à son voisin en propageant des rumeurs, infondées ou non. Un monde où ceux qui ont les manettes de l’information ne se prétendent pas des idéologues pourfendeurs de ce qu’ils jugent eux-mêmes comme ce qui n’est pas acceptable (d’une manière totalement subjective), mais d’authentiques transmetteurs d’informations rigoureuses, sous l’égide d’une éthique d’autant plus irréprochable que la faute journalistique peut être calamiteuse pour celui qui en est victime. Mais le monde n’est pas idéal, et son imperfection est consubstantielle à l’humanité même. Et s’il faut de temps en temps appeler de ses voeux une prise de conscience morale dans une société déstructurée, il ne sert à rien de refuser de commenter ce qui est, au prétexte que ce n’est pas ce que l’on aurait aimé que cela fût. Puisque « l’affaire Hollande » existe, autant en comprendre le sens, essayer de la remettre dans un contexte et en voir les répercussions dans la société – politique, mais aussi civile.

Un triple questionnement. Puisque l’on sait que François Hollande a bien une liaison avec l’actrice Julie Gayet (le monde médiatico-politique le savait depuis au moins une année), trois questions essentielles se posent : En tant que telle, cette affaire fait-elle sens ? Quelles en sont les conséquences politiques ? Quelles conséquences sur l’état de la société ?

Cette affaire, en elle-même, a-t-elle ou non un intérêt quelconque ? Pose-t-elle un problème in abstracto ? Nous savons très bien que les sphères du pouvoir ont de tout temps été traversées par des affaires sexuelles. Les maîtresses des souverains comme celles des présidents (et du personnel politique) sont légions dans la grande Histoire comme dans la petite, depuis l’Antiquité jusqu’à… aujourd’hui. Nous n’en ferons certes pas une vertu. Mais un tel constat universaliste ne peut être balayé du revers de la main. Il ne serait pas honnête de pointer d’un doigt rageur la faute de François Hollande, dont on fustigera son amoralisme, alors qu’il faut bien convenir qu’il n’est en rien différent des autres. Nous pouvons même convenir que François Hollande nous donne enfin une première preuve qu’il est un « président normal »… Enfin, il est évident que rien ne peut justifier de s’immiscer dans l’alcôve des personnes qui nous gouvernent, sinon lorsque les faits rapportés seraient constitutifs d’une infraction pénale. On entend de-ci de-là des commentaires indiquant qu’il est normal de tout savoir sur la vie privée des personnes que l’on élit. Je crois que c’est une erreur totale. Nous savons fort bien – car c’est un trait constitutif de notre condition humaine – que notre intimité recèle parfois des zones d’ombre, des névroses et des imperfections qui ne nous empêchent pas d’avoir par ailleurs des vertus ou des mérites sur un autre plan, notamment sur celui de la capacité à gouverner. C’est un travers de notre époque moderne que de vouloir connaître l’intimité de l’autre. Mais c’est une impasse et un moyen malhonnête de dévaloriser – par exemple – nos grands auteurs, nos intellectuels (dont on tente même d’expliquer la pensée par leur psychisme) en se répandant sur leurs faiblesses présumées. Ainsi en est-il également des hommes politiques. François Hollande n’a pas commis d’acte qui justifie que l’on en fasse les gros titres des journaux (n’oublions pas qu’il n’est même pas marié !). Mais si l’acte en lui-même est d’ordre privé, il n’en est pas ainsi des conséquences intrinsèques et extrinsèques.

L’affaire étant néanmoins lancée, aura-t-telle des conséquences politiques ? De nombreux commentaires mettent en avant l’idée que la situation politique de François Hollande risque de se fragiliser encore. Pourtant un sondage indique qu’une écrasante majorité des Français ne changera pas d’avis sur François Hollande après ces révélations. On semble oublier que la cote de popularité dudit président est tellement basse que les 85 % de Français insatisfaits… ne risquent pas de changer de position avec cette affaire. Plus sérieusement, on voit mal comment, dans une société marquée par une indifférence quasi-généralisée envers toute valeur normative, on pourrait se formaliser d’une situation tellement rendue banale dans le quotidien des Français (voir en cela l’article du Figaro de de dimanche). Cela ne signifie pas que l’on doive s’en satisfaire ! Car à la crise de légitimité politique engendrée par des positions idéologiques très contestables, s’ajoutent désormais une crise de légitimité morale. Et même si les conséquences les plus lourdes sont à ranger dans la question sociétale, il me semble bien difficile de ne pas mettre en parallèle la vie privée tumultueuse de François Hollande et sa volonté quasi doctrinaire d’ouvrir le mariage aux homosexuels. Comment oublier, par ailleurs, cette phrase mémorable de la campagne présidentielle: « Moi Président, je veillerai à avoir un comportement exemplaire » ? Oui, il y a bien crise morale, du moins doit-on le supposer… Et il serait même anormal qu’en l’espèce, cela ne soit pas. Car François Hollande ne peut plus se prévaloir d’une légitimité de chef d’État. Je le répète : ce n’est pas sa liaison qui rend les choses aussi dramatiques, mais les conséquences sur le fonctionnement de l’ Etat, en termes de choix idéologiques et en termes de dissimulation de ce qu’il est lorsqu’il voulait conquérir le pouvoir.

Mais n’est-ce pas aussi toute la société qui est trompée… et qui doit assumer les errements d’un président qui pose désormais problème ? Voici donc un chef de l’ État impopulaire à souhait, qui a perdu tout soutien de la population. Désormais acculé à recentrer sa politique notamment à l’égard des entreprises, il n’a plus de cohérence et sombre dans une logique de fragilisation de la société. Réfugié un temps dans une volonté d’inflexion idéologique quasi entêtée (mariage homosexuel et probablement très vite la PMA s’il n’avait pas été arrêté par une opinion publique défavorable), il apparaît dorénavant comme celui qui se moque de toute valeur normative, de tout principe et de toute honnêteté intellectuelle. La société doit-elle s’identifier à un tel chef ? Pouvons-nous faire confiance à une telle parole ?
Puis viennent également d’autres questions, à la fois éthiques, de bon sens, et de réalité budgétaire. Alors que la France avait déjà abdiqué sur la question de la Première Dame… qui n’était liée au président que par une fiction de titre, mais qu’elle coûtait à l’ État quatre collaborateurs, une intendance, un véhicule avec chauffeur, et qu’elle bénéficiait de tout le train de vie présidentiel, la voici défaite de tout statut. A moins d’instaurer une polygamie d’Etat, on aimerait bien savoir comment ce couple à trois, sans lien autre que celui du concubinage et de la relation cachée peut se traduire en termes d’images publiques et de fonctionnement de l’Élysée. François Hollande est-il en mesure de mettre de l’ordre à tout cela ? Un comportement amoral est bien pire qu’une situation immorale. On peut rechercher la rédemption face à la seconde. Mais le premier est une absence. Une incapacité.

Il y a une profonde lassitude à considérer ces errements et ces fautes morales. On ne peut sans cesse se mordre les doigts avec fatalisme de subir un État qui ne représente pas la population.

(suite…)

Un tableau de la France en cette fin d’année 2013

Comme il est de coutume dans tous les médias, nous pouvons profiter de cette fin d’année 2013 pour tenter de dresser un tableau de la situation de la France. 

« Comme il est de coutume« , dis-je… surtout quand ça va mal, comme nous ne pouvons qu’en faire le constat amer. Car force est de reconnaître que nous n’avons que bien peu de raison de nous satisfaire de la situation. Les sondages comme les études d’opinions ne cessent en effet de montrer le pessimisme ambiant qui règne en France depuis plus d’un an et qui ne semblent pas vouloir considérer que l’année qui vient puisse être fondamentalement différente.

Sur le plan politique, il est presque inutile d’ajouter au déferlement de critiques dont le pouvoir exécutif est désormais la cible quotidienne. François Hollande n’est pas à la hauteur de la fonction. Il a été élu à la présidence de la République par une double négation. A la primaire du parti socialiste, c’est par défaut qu’il fut élu, en tant que ventre mou des différents courants internes au parti. Et contre Nicolas Sarkozy, victime d’un rejet de l’opinion non seulement de gauche mais aussi de la branche conservatrice de l’UMP, il n’eut qu’à réciter un bréviaire d’inaction en perspective d’une présidence normale. Comme je l’avais mentionné plusieurs fois antérieurement à la présidentielle de 2012, et notamment dans un article « Petite analyse de science politique« , François Hollande avait également un avantage important sur son rival : d’une présidentielle à l’autre, on distingue nettement à quel point l’opinion publique vote tel un balancier, une fois pour un homme (et un programme) réformateur, ambitieux, prêt à vouloir engager un combat pour faire bouger les lignes, puis la fois d’après, pour un candidat consensuel, « juste milieu » comme dirait Verlaine, prompt à calmer l’inflation réformiste. Après Nicolas Sarkozy, la bonhomie hollandaise ne pouvait que faire merveille…

Mais la question politique ne s’arrête pas, loin s’en faut, à un problème de casting. Car la gestion de la crise, les économies à réaliser, les trois millions de chômeurs, la déconfiture de l’industrie nationale… ne devaient surtout pas être traitées par les vieilles lunes de l’Etat omnipotent dont on sait aujourd’hui qu’il n’aura été qu’un gaspillage du trop plein des « trente glorieuses » ainsi que la résultante d’une gauche révolutionnaire (parti communiste et affidés) déçue de n’avoir pas réussi à convaincre l’URSS en 1945 de transporter en France le paradis communiste du bloc de l’Est en constitution, et qui s’est jetée à corps perdu dans une surenchère de la prise en charge individuelle comme préalable à la destruction de la société capitaliste.

Or, toute en rondeur quelle soit, la gauche de François Hollande, totalement étrangère à l’économie réelle – à l’image d’Arnaud Montebourg qui pensait pouvoir contrecarrer les fermetures d’entreprises par la rhétorique et la présence médiatique – croit encore que l’emploi subventionné des jeunes suffit à déguiser le chômage en sortie de crise, et ne veut pas admettre que seul le dégonflement d’une fonction publique hypertrophiée peut redonner à l’Etat la capacité d’action. Et encore entendons-nous bien : la capacité de l’Etat à agir ne peut se faire que par la négative, c’est à dire par des mesures de baisse massive des impositions du secteur productif, et surtout pas par des interventions directes de redistribution.

Sur le plan sociétal, la France a connu une période tout à fait inédite depuis de longues années. La loi sur le mariage des homosexuels a en effet donné lieu à un vaste mouvement dont les acteurs principaux ne sont que peu politisés (même si, convenons-en, la grande majorité était de sensibilité de droite), ne formant donc pas un bloc idéologique homogène, et qui ont pu mobiliser des centaines de milliers de manifestants plusieurs fois en quelque mois, sans pour autant que la loi fût ajournée. De part en d’autre de la ligne de fracture entre les tenants et les opposants, il est notable d’observer qu’aucun dialogue ne fut vraiment possible. Doctrine contre doctrine, idéologie contre idéologie, philosophie contre philosophie, le champ des idées fut investi mais ne trouva aucune possibilité de dialectique, c’est à dire d’un dépassement des deux oppositions. A la liberté et l’égalité des situations juridiques invoquées par les partisans de la loi, il fut opposé une certaine image de la famille traditionnelle et de la filiation par ceux qui la contestaient. Comment pouvait-on entrevoir l’aboutissement d’une telle rupture, sinon par le célèbre adage socialiste de 1981 récité par André Laignel « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires » ?

Sur le plan de la cohésion nationale, les clivages idéologiques sont de plus en plus difficiles à observer. A une bipolarisation artificielle de l’échiquier politique (qui rendait bien service lors de la formation des majorités électorales, mais qui n’a jamais correspondu à l’état des idées politiques en France), on assiste de plus en plus à un émiettement des idées qui se traduit par une pression interne aux deux grands partis politiques (UMP et PS) de plus en plus menacés de déformation centripète, et par des clivages à géométrie variable entre des tendances et des courants très minoritaires (centristes notamment) mais dont le rapprochement circonstanciel peut conduire à des minorités de blocage. Enfin, le Front National apparaît de plus en plus comme un aggloméré de sympathisants venus de tous les courants politiques et trouvant une sorte d’exutoire à un phénomène de ras-le-bol à la fois économique et identitaire.

Au total, nous avons un tableau profondément pessimiste de la France. Il n’y a guère de sujets qui puissent être motif de satisfaction. Mais, disons-le de suite : nous devons nous interdire de croire que le malaise est engendré par des décisions de court terme et qu’il suffirait d’un changement électoral pour retrouver un âge d’or vertueux. Les questions fussent-elles politiques qui sont ici posées, nécessitent une réflexion d’ensemble approfondie, dépassant les cadres actuels des références politiques et faisant fi des idéologies mêmes dominantes.

C’est une belle exigence que nous pouvons nous donner à nous-mêmes pour l’année qui vient… Engager une réflexion pour un avenir…

Les contradictions intrinsèques de la société portent en germe sa propre finitude

Nos sociétés modernes reposent sur le principe de la relativité. Nous protégeons la liberté de pensée (sous entendu que chaque opinion est digne d’intérêt, quelle qu’elle soit) ; nous avançons au gré des alternances électorales dans une logique de progressisme dans la liberté des choix de vie privée, fussent-ils amoraux (la loi s’interdit toute promotion ou toute hiérarchisation de valeurs morales, laissant l’individu vivre comme il l’entend en lui autorisant toute pratique, pourvu qu’elle ne nuise pas à autrui et en interdisant par la même occasion toute tentative de critiquer autrui sur le registre d’une morale reléguée dans la sphère intime.

Nous sommes donc dans un système qui assure et assume l’individualisme comme fin ultime de la vie en société. Chaque « citoyen » est libre de vivre en marge s’il le souhaite. Ses idées sont bonnes parce que ce sont les siennes. Les valeurs normatives  qui fondaient auparavant toute structuration communautaire, qui la faisait exister en exigeant de ses membres le respect des principes moraux transcendants les vies individuelles pour leur donner un sens (l’impératif catégorique kantien) s’effacent au profit de la seule idée d’individuation légitime du mode de vie.

En France toutefois, l’individualisme et la relativité s’arrêtent au rejet de la morale et de la religion : Ils ne sont pas politiques. Un fort système de répartition est instauré par l’Etat interventionniste pour corriger les inégalités, grâce au concept ingénieux – mais contradictoire sur le plan de la terminologie – de la solidarité imposée. On décide à la place du « citoyen » libre qu’il devra contribuer à telle ou telle politique solidaire, qu’il doit subvenir aux besoins de telle ou telle catégorie de la population. Il paie des impôts, mais n’a aucune emprise sur leur utilisation (et les alternances politiques ne remettent jamais en question la légitimité d’une imposition précédente, car ce serait alors admettre qu’il s’est agit d’un racket calamiteux ; tout juste peut-on critiquer la « pression fiscale », ce qui n’est évidement pas la même chose).

De ce double constat de liberté individuelle et de solidarité collective, décrite par Tocqueville comme étant un objectif continuel de la France depuis le Moyen-Age et dont la Révolution en serait le parachèvement (universalité des droits de l’homme plaçant la liberté individuelle au sommet des valeurs à défendre mais dans une évolution d’égalisation toujours plus forte des conditions de vie et des statuts), il a été tiré le seul régime politique qui incarne cette marche en avant : la démocratie. C’est même un aboutissement indépassable – puisqu’aucun autre régime ne pourrait apporter la satisfaction de ces deux postulats, si bien qu’on a pu parler de « fin de l’Histoire » (Francis Fukuyama).

Dès lors, on peut s’étonner  – par delà les interprétations politiques et le brouhaha des opinions multiples qui s’expriment désormais à l’infini – de constater à quel point la société semble aller mal, traversée à la fois par une violence mortelle individuelle et collective, une incapacité de plus en plus manifeste d’agréger les individus autour de ses fondamentaux pourtant censés contenir la potentialité de la meilleure vie possible, une fronde générale liée à un ressenti négatif qui dépasse de loin la capacité de prise en compte des alternances électorales. Violence, mal-être,  déstructuration, anomie… Le recul laisse songeur et rappelle des périodes préfigurant des situations pré-révolutionnaires ou de fin de systèmes.

Rien d’étonnant, pourtant, qu’il en soit ainsi. Car nous vivons dans une contradiction continuelle, intrinsèque à la société, à ses fondements doctrinaux, à ses idéaux.

Une société, par essence, est une communauté d’individus dont les membres ont en commun un destin, une histoire, une culture, une identité, des règles de fonctionnement, et surtout : le sentiment d’interdépendance. Or, nous avons aujourd’hui précisément l’inverse de ce substrat sociétal. A trop avoir voulu anéantir les principes identitaires qui servaient de vecteur au relationnel entre les individus, qui agrégeaient la somme des individus en un peuple ayant sa cohésion, nous avons laissé un champ de ruine à la place des certitudes morales et des valeurs normatives. Il ne suffit pas de parler de liberté individuelle pour créer un sens commun à une population. Au contraire, la liberté débarrassée de l’ancrage culturel et de son enracinement provoque l’anéantissement du lien fondamental nécessaire pour reconnaître en l’autre son inscription dans une identité collective qui est également la nôtre. Mais pour cela, encore faut-il que l’autre ne soit pas d’une culture étrangère incompatible ou qu’il ne désire pas s’approprier les valeurs autochtones. Il ne faut pas non plus que l’Etat fasse disparaître toute tradition d’appartenance, toute culture historique sous prétexte de « changement de civilisation ». Les banlieues sont à cet égard une source sans fin d’exemples de ce qu’il ne fallait pas faire. Mais le reste du pays souffre également que l’on ait vidé de son sens les références à la culture française.

Etait-ce inéluctable d’en arriver là ? Toute philosophie porterait-elle en germe une telle évolution ? Evidemment, non. Ce n’est qu’une conception particulière de la vie en société qui nous conduit à cela, et pour tout dire, une conception française. Nous avons crû qu’il suffisait d’ériger la liberté comme dogme absolu pour permettre l’émancipation de l’individu et l’appropriation de sa vie. Mais, en définitive, nous n’avons qu’inter-changé une idéologie à une autre. A la seconde que l’on trouvait insupportable car coercitive (la morale, le droit naturel, les principes de l’ordre chrétien) nous l’avons remplacée par une nouvelle tout aussi indépassable et puissamment intransigeante, caractérisée par un écart considérable entre la théorie et la réalité pratique (la croyance dans les vertus intrinsèques de l’individu, sa capacité à définir seul son mode de vie, la justesse de son jugement… mais à travers des choix dictés ex-nihilo, des alternatives figées et finalement sans conséquences positives).

A la notion de liberté et d’égalité – qui sont des absolus qui font tourner la tête mais qui ne sont pas applicables en soi ex abrupto et dans toute leur étendue – il conviendrait d’y adjoindre une pratique culturelle et identitaire qui puissent redonner à la France de la fierté, de la passion, du plaisir de vivre ensemble par delà les vicissitudes des problèmes économiques et des destins individuels et collectifs.