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Présidentielles 2017 – Entre stupefaction, incrédulité et rejet, les Français n’ont plus rien à perdre
La campagne pour les élections présidentielles a mis en évidence un système politique français à bout de souffle, et ce, à tous les niveaux d’analyse. La situation est à cet égard préoccupante et dangereuse. Préoccupante, car de cette élection devront sortir les instances du pouvoir exécutif, puis législatif le mois suivant, qui prendront des décisions cruciales concernant l’Europe, l’adaptation économique, le chômage de masse et la cohésion de la société, ce qui ne saurait être envisageable par le truchement de l’amateurisme ou de l’expérience fantaisiste. Dangereuse, parce que les déséquilibres dont la France est victime, du fait de politiques inadaptées, inefficaces et pour tout dire coupables, menées depuis des décennies, et singulièrement lors de ce quinquennat malheureux qui s’achève dans la déconfiture la plus totale, tendent à précipiter notre pays dans la zone de relégation de la scène internationale, et de laquelle il sera presque impossible de sortir.
Je voudrais à cet égard prendre quelques éléments qui me paraissent notables comme autant de signes de l’appauvrissement de la pensée politique de la France.
- Le système des primaires
Il y a encore quelques mois, il était considéré comme un modèle de démocratie (la référence à la démocratie étant, dans la bouche des médias, l’alpha et l’oméga de la perfection d’un système).
La réalité est terriblement différente : Aucun des deux vainqueurs, à gauche comme à droite, n’est, à deux semaines de l’élection, en mesure de se retrouver au second tour.
Ce système est porteur, en lui-même d’une pathologie irrécusable : Le candidat doit radicaliser son discours à l’intérieur de son propre camp pour avoir l’espoir de l’emporter en se démarquant des autres. Puis ensuite, à peine élu, il doit entamer une campagne cette fois nationale, sur un programme évidemment beaucoup plus recentré. Cela porte un nom, la schizophrénie… L’écart que le candidat est condamné à combler, alors qu’il en a été lui-même à l’origine est une gageure et abaisse considérablement sa crédibilité. Benoît Hamon est minoritaire au PS, et ne cessera pas de l’être. A peine l’élection présidentielle passée, il pourra considérer que sa carrière politique s’est achevée. Et pourtant, il fut le grand gagnant de sa primaire. François Fillon – je reviendrai infra sur les affaires – est inaudible au niveau national sur une mesure telle que celle de supprimer 500 000 fonctionnaires. Peu importe de la justesse et de l’opportunité du chiffre, il ne peut être élu sur une telle mesure. Or, elle lui a permis de mobiliser son électorat lors de la primaire.
Tout cela ne s’explique, en dernière instance, que par le mode de scrutin de ces pseudo-élections. Seuls vont voter ceux qui entendent les discours radicaux. Il faut être motivé pour voter à la primaire, car l’enjeu n’est évidemment pas celui de l’élection nationale. Ainsi, les programmes forts sont sur-représentés, par rapports aux modérés. Fillon passe devant Juppé non parce que la majorité des électeurs des Républicains est convaincue par son programme, mais parce que son propre électorat s’est déplacé en nombre. Mais la masse des électeurs de la droite est moins ancrée dans une logique de rupture que dans celle de l’adaptation. Le corps électoral de droite, composé des cadres, chefs d’entreprise, salariés plutôt bien payés, n’est pas révolutionnaire. Elle ne cherche pas les politiques d’électro-chocs, mais une facilitation du besoin perpétuel de modernité caractéristique de la société de consommation.
On a entendu que la primaire à droite était un grand succès grâce à ses 4 millions de votants. C’est une imposture intellectuelle. Le corps électoral en France est de 44,8 millions de personnes en 2016 (source INSEE). Aux élections présidentielles de 2012, en ne prenant en compte que les suffrages exprimés (votants et défalqués des blancs et nuls), les électeurs étaient 35,6 millions à voter. Nicolas Sarkozy obtint 9,7 millions de voix au premier tour. Aux primaires, Fillon obtint au second tour 2,9 millions de voix, c’est à dire 8,1% de la masse moyenne des votants en France, et surtout à peine 30% des votants de Sarkozy de 2012. On voit donc bien que la légitimité des primaires est extrêmement faible, quoi qu’on entende au sein des partis considérés.
Les primaires on un désavantage supplémentaire. Les combats politiques les plus violents ont lieu à l’intérieur même des partis, lorsque le choix des candidats doit se faire. On a cru naïvement qu’en s’en remettant à un vote, cela assurerait au vainqueur le soutien des perdants, grâce à l’onction électorale. Il n’en est évidemment rien. Au contraire, car la mise à égalité des candidats lors de la confrontation, aiguise les ambitions et ne donne pas envie de courber l’échine même après la défaite, alors que la soumission au chef naturel s’accepte grâce au poids du système. Evidemment, encore faut-il qu’il y ait un chef naturel…
En tout état de cause, les primaires sont une erreur manifeste qui pèse lourdement dans la campagne. Elles accentuent le délitement du discours politique.
2. Le portrait global des cinq candidats « crédibles »
Ce qui me navre le plus dans cette élection, ce n’est pas la victoire possible de certains candidats, mais la faiblesse coupable de l’ensemble des postulants.
Marine Le Pen, à force de vouloir donner au Front National ses lettres d’honorabilité, en est venue à un programme décousu, illogique et contradictoire. Economiquement très à gauche (cela depuis que le gros de ses troupes est issu du monde ouvrier), son programme est la négation de ce qu’il était les années passées : libéral. Il s’est par ailleurs enrichi de la thématique de la sortie de l’Union européenne, et cite évidemment le Brexit comme le gage de réussite. Un détail pourtant devrait interpeller : Le Brexit n’a pas encore eu lieu… La décision a été prise mais les conséquences sont encore largement inconnues. Quant à revenir au franc… Qui donc peut croire à une telle mascarade ? Nous avons bien autre chose à faire que de perdre plusieurs années à détricoter un système qui n’est pas nocif en soi, mais seulement par ce que l’on en fait.
Les questions identitaires au FN se sont soudainement limitées à l’islamisme. Comme si l’incurie des banlieues, les zones de non-droit, les classes constituées à 100% d’étrangers dans certains quartiers, les ravages de ces millions de personnes oisives et déstructurées, la violence quotidienne et au final l’abandon des pouvoirs publics, pouvaient se résumer à la question islamique. Or, Marine Le Pen croit avoir la solution : la laïcité. La France est un pays qui a déjà et malheureusement pour elle, fait oeuvre, dans son Histoire, d’une idéologie anti-religieuse inadmissible. L’idée d’en rajouter une couche pour lutter contre le monde musulman, me paraît à proprement parler inadéquate.
Emmanuel Macron concentre sur lui toutes les inadaptations du système politique. Il en est la quintessence. Depuis 40 ans, les présidents ont tous marqué un écart considérable entre le discours de campagne (assis sur un programme toujours plein d’ambition) et la réalité. Sarkozy et Hollande en sont les archétypes. Ils déçoivent dès leur arrivée et montrent qu’ils n’auront été bons qu’en tant que candidats. Emmanuel Macron – il faut lui reconnaître cette vertu – ne nous prend pas au dépourvu. On sait dès maintenant qu’il ne ferait rien s’il était élu. Pour preuve, l’absence de programme. On reste dans le flou, histoire de ne contrarier personne. On préfère les déclarations de bons sentiments du type « je vous aime furieusement » plutôt que d’entrer dans la réalité d’un programme de gouvernement. Un coup à droite, un coup à gauche, on contente tous ceux qui n’ont pas d’idées – et ils sont nombreux en France. Mais pour faire quoi, une fois arrivé au pouvoir ? Rien, évidemment. Les Français sont tellement dégoûtés de la politique qu’ils vont probablement se laisser tenter. La sidération sera pour les lendemains qui déchantent.
François Fillon avait le mérite d’avoir un programme cohérent et qui sortirait la France de son inaction hollandaise. On peut regretter des excès dans certaines mesures, des approximations, des revirements au gré des circonstances (notamment le temps du passage des primaires à la vraie campagne). Mais l’essentiel y était. Même s’il n’est pas bon pédagogue : Au lieu de sortir un chiffre brut de 500 000 fonctionnaires, ce qui a eu le don de faire frémir la majorité des familles françaises qui compte au moins un fonctionnaire en son sein, il fallait de suite le décliner entre les trois fonctions publiques et entre les administrations ainsi que rappeler qu’il ne s’agira pas de jeter les agents hors de leur bureau… Force est de reconnaître cependant, que c’est le programme le plus abouti et le plus cohérent.
Ce qui est évidemment déterminant pour se faire une opinion sur François Fillon, c’est la question des affaires. Il fut un temps où l’enveloppe qui était octroyée aux députés pour la rémunération de leurs assistants était libre d’utilisation. S’il restait un reliquat, le député conservait la somme. Si il se passait d’assistant, il gardait tout. Légalement. Mais une réforme a modifié ce système généreux mais dispendieux : Désormais, le député qui n’utilise pas toute son enveloppe doit restituer le reliquat. Voilà bien un manque à gagner pour un personnel politique dont la vie publique et les conséquences privées (réceptions, dîners, voyages…) coûtent très cher. L’indemnité de fonction est largement insuffisante au moins pour les « ténors ». Alors on cumule avec des mandats locaux, on prend tous les postes rémunérés. Rien n’y suffit. Il en faut toujours plus. Le train de vie d’une personne politique de premier plan est considérable. Il est tentant alors, tenant chaque mois le relevé de compte sur lequel apparaît le virement de la rémunération des assistants, de considérer que c’est de l’argent à soi. Comme la loi ne le permet pas, on s’accommode de la règle en embauchant le conjoint… et comme aucune disposition ne précise le travail qui doit être accompli par les assistants, il n’est pas difficile de comprendre de quelle manière le système s’accomplit.
François Fillon aurait pu dire « Je vous fais le serment que la rémunération de Pénélope est légale et correspond à un vrai travail ». Il ne l’a pas dit. Il a seulement précisé : « Jamais les juges ne pourront démontrer que l’emploi de mon épouse était fictif ». Ah ! la sémantique, quand tu nous tiens !
François Fillon a commencé sa campagne par des accents de moralité qui étaient les bienvenus dans un monde politique qui s’en échappe outrageusement. En précisant qu’il est catholique, il bouscule avec raison cette pratique mortifère bien française de faire la guerre à la foi. Mais les affaires sont là… Et pour un moralisateur, y être confronté est un défi presque impossible. Peut-être que s’il avait eu, un temps au moins, une activité professionnelle réelle (privée ou même publique) il aurait eu une autre démarche. Mais élu député à 27 ans et ne vivre que de ses mandats locaux et nationaux pendant 40 ans… est-ce bien raisonnable ?
Benoît Hamon est assurément le dindon du système. Il n’avait rien demandé. Petit frondeur sans envergure, avec un programme plus proche des idées socialistes des années 70 que des perspectives des années à venir (taxer les transactions financières, manipuler les chiffres du déficit en enlevant les dépenses d’investissement (!), régler le problème des prisons… en les vidant, privilégier le recrutement des femmes dans les postes supérieurs de l’administration – le critère sexe primant sur la compétence -, et évidemment, dépenser à tour de bras l’argent que l’Etat n’a plus depuis longtemps) , il ne s’attendait pas à être vainqueur de la primaire. Les raisons sont les mêmes que pour Fillon : La radicalité déplace les foules. Mais les perdants de la primaire de la « belle alliance » (ça ne s’invente pas de telles énormités), ont fait exploser en plein vol un parti qui ne sait toujours pas s’il doit se considérer comme anti-capitaliste ou pas. Les oppositions sont irréconciliables. Entre Valls et Hamon, c’est un monde qui les sépare. Certes, Valls a surtout montré à quel point il était mauvais perdant. Il s’était tellement persuadé qu’il n’y avait que lui de légitime, qu’il s’est mis à haïr le pauvre Hamon sans retenue et devant les caméras… A quoi servent les primaires si c’est pour ensuite passer son temps à délégitimer le vainqueur ?
Le programme de Benoît Hamon est terriblement médiocre. Le revenu universel est une douce plaisanterie qui n’est même pas porté par les militants. Afficher comme conduite du changement, la perspective de l’oisiveté rémunérée relève d’une pauvreté intellectuelle affligeante. Le reste est vieux, gauchisant à souhait, sorti des cartons archivés depuis longtemps. La France irait-elle mieux avec un tel régime ? Qui peut le croire ?
Jean-Luc Mélenchon est l’intellectuel présumé. Du moins est-ce là ce qu’il aimerait faire croire. Pourtant, ce n’est pas la liste de ses diplômes qui nous en convaincra, ni la fulgurance de sa pensée. Certes, il a évolué depuis cinq ans, à n’en pas douter. J’avais eu à son endroit, quelques mots très durs concernant ses prises de position révolutionnaires systématiques, litaniques, surabondantes, déversées dans une logorrhée qui amusait les médias mais qui fossilisait la parole de gauche. Cette fois-ci, il cherche l’ouverture et donc doit montrer que son rouge a rosi. Il est cependant décevant sur un point : Que l’on détestât ou non ses prises de position, on ne pouvait auparavant lui refuser une vertu, celle de ne pas céder aux verbiage politique circonstanciel. Or, cette année lui est fatale sur ce point. Tout en enrobant ses discours de sa faconde inimitable, il montre que son principal travail consiste à faire de la politique, c’est à dire à se positionner pour capter des voix sans se préoccuper de cohérence ou de vertu. Désormais il ratisse large comme d’autres arpentent les boulevards.
Sur son programme, quand on le lit en détail, on est confondu par tant d’inepties grossières et dangereuses. Tout pour la dépense… ce devrait être son adage. Il croit encore à la fable économique qui pronostique que c’est par la demande que la croissance arrive. Cela n’a jamais fonctionné. En 1981, Mitterrand y a cru également… mais en 1984, le demi-tour fut radical. Dans un contexte de marge de manoeuvre budgétaire, on pourrait se laisser convaincre. Mais la dette de l’Etat est abyssale désormais. Même si le déficit annuel semble à peu près contenu (encore que les budgets ne sont pas exécutés en équilibre, et que seul un suréquilibre annuel pourrait diminuer la dette globale), le stock de la dette est vertigineux. La France va perdre de sa crédibilité sue la scène internationale à court terme. Tous les Etats ont compris qu’une entité nationale n’échappait pas à la règle comptable de l’équilibre. Pour exercer des choix politiques, il faut en avoir les moyens. Mélenchon ignore tout cela, comme toute pensée de gauche qui impose les dogmes hors-sol.
3. La conclusion est amère
Sur 11 candidats, deux sont trotskistes, soit 18% de l’offre politique, alors qu’ils représentent 2% de l’opinion.
Les 5 plus petits candidats sont ridicules. Ils aboient autant qu’ils peuvent pour compenser la légèreté de leurs idées. Le système qui les admet est coupable.
Le niveau des débats est effroyablement bas. Il ne correspond absolument pas à la position de la France comme 6ème puissance mondiale. Les candidats souffrent d’un manque de prise de hauteur qui les condamne à des propos de café du commerce. Personne n’a abordé la question du long terme. La France ne peut être gouvernée par programme de cinq ans. Il y a des décisions qui doivent être prises à des horizons bien plus longs, mais qui nécessitent au préalable, que soit discuté le devenir national. Chacun y va de son catalogue de mesures démagogiques, dans l’air du temps, marketing, racoleuses. Lors du débat à 11, ce ne fut que cacophonie. Alignés et vantant leur programme, ils me firent penser irrésistiblement aux marchands ambulants devant leurs étals, cherchant à retenir l’attention des passants par de fines phrases ciselées : « Ah qu’ils sont beaux mes poireaux ! », « Venez goûter mes fromages ! »…
Les instituts de sondage prévoient tous un taux d’abstention très élevé.
Une analyse politique des élections européennes et une mise en perspective
Les résultats des élections européennes ont suscité tous les commentaires possibles, et le plus souvent, assez justement, d’ailleurs, quant ils l’étaient de la part des politologues et politistes. Le personnel politique, malheureusement, a depuis bien longtemps cessé de produire un discours analytique, se contentant de pétitions de principes et de stéréotypes très en deçà de la situation.
Toutefois, l’analyse des résultats, réduite à une photographie des données numériques ou à des rapports de force politiques – quelle qu’en soit sa pertinence – ne peut rendre compte à elle seule de l’importance extrême du drame qui se noue dans notre pays, de scrutins en scrutins. Mais à dire vrai, ce niveau de réflexion réclamé par un nombre toujours plus grand d’intellectuels, nécessite un profond et inusuel questionnement de la destinée de la France en tant que peuple, dans ses occurrences culturelles, historiques, intellectuelles, et en tant que nation parmi les autres nations, d’abord européenne, mais incluse dans une mondialisation dont on ne sait toujours pas s’il faut s’y résigner, la souhaiter ou s’en extraire.
Je voudrais esquisser ici quelques idées force concernant ces questions, en commençant par un commentaire des résultats.
1. Pour une lecture dépassionnée des résultats électoraux du 25 mai
Certes, il serait bien peu crédible de tenter de minorer les résultats du Front National. A 25% et 24 sièges, il est de loin le vainqueur de ces élections.
Toutefois, il convient de replacer ce scrutin dans un contexte d’analyse. Depuis au moins deux décennies, les élections européennes connaissent des résultats toujours en marge des scrutins nationaux. Deux raisons président à cela : Qu’on le veuille ou non, les élections européennes ne sont pas considérées comme de premier ordre. Les hommes politiques qui s’y présentent sont généralement dépourvus de mandat parlementaire national ; les campagnes électorales se singularisent essentiellement par un recentrage systématique des débats sur la sphère nationale ; Les électeurs eux-mêmes considèrent cette entité européenne comme lointaine et peu incarnée ; la multiplication des micro listes dont certaines frisent le ridicule, relativise encore l’enjeu. Un tel contexte favorise clairement un certain détachement, une désinvolture dans le vote, voire même une tendance au défoulement. Dès lors, il convient de prendre avec une certaine précaution les résultats – quels qu’ils soient. Du reste, le taux d’abstention toujours extrêmement élevé est un élément supplémentaire de relativisation. Le scrutin de liste supra-régional supprime toute identification des élus et contribue à une abstraction considérable. L’acte électoral ne prend pas la même importance lorsqu’il est effectué pour un candidat connu, local ou national ou pour une liste de noms souvent inconnus. La supra-régionalité ne correspond à aucune entité géographique singulière et renforce encore cette impression de peu d’importance.
A cela s’ajoute le fait que le vote de la France ne concerne que 74 députés sur un parlement qui en compte 766. A moins de 10%, l’inconscient collectif suppose naturellement (alors même que la réalité est autre) que la voix de la France sera en quelque sorte inaudible. Même s’il est entendu que les parlementaires européens ne sont pas élus pour défendre les intérêts de leur pays, les électeurs n’ignorent pas que les intérêts nationaux ne sont jamais bien loin, et que les conseils européens démontrent que les positions défendues sont le plus souvent nationales. Or, le peu d’intérêt pour une élection rend plus indifférent le résultat et plus probable le vote défouloir.
Si on agrège l’ensemble de ces données (faible participation, faible enjeu ressenti, notions européennes mal assimilées, quasi-absence de personnalités politiques de premier plan parmi les élus), les résultats ne peuvent être interprétés comme un tableau réaliste des rapports de force politiques dans l’opinion publique. Je ne dis absolument pas cela dans le but de relativiser les conséquences de la nette prédominance du Front National (comme le personnel politique a tendance à le faire de manière tout à fait déplorable). Mais la seule évocation des résultats chiffrés comme fait politique serait également une erreur fondamentale.
Au demeurant, il convient également de tenir compte des conséquences en termes de représentation des forces politiques au sein de la nouvelle assemblée. Or, le Front national est une force politique exclusivement française, contrairement à l’UMP ou au PS, que l’on peut assimiler aisément aux autres partis européens (démocrates Chrétiens, sociaux démocrates, libéraux…). Par la nature même de son identification politique, le FN représente des intérêts exclusivement nationaux.
Il s’avère même que son influence ne sera que très marginale puisqu’il ne semble pas pouvoir constituer un groupe à défaut d’être parvenu à s’allier avec le parti anglais UKIP.
La majorité au Parlement européen ne s’est donc pas trouvée modifiée par l’arrivée de contingents nationalistes de plusieurs Etats membres, puisque ce sont toujours les deux partis traditionnels du PPE (plutôt à droite) et le PSE (socialiste) qui se taillent la part du lion.
En d’autres termes, si la victoire du Front National est importante et doit nous donner l’occasion de nous interroger sur l’évolution du système politico-institutionnel français, nous ne pouvons pas en conclure qu’il est désormais le premier parti de France à la seule analyse des résultats de ce scrutin. Aucun changement n’étant par ailleurs à attendre du fonctionnement des instances européennes… on peut en conclure que le vacarme médiatique consécutif à ces résultats n’était pas réaliste.
Mais je crois que les leçons que l’on peut en tirer ne sont pas celles du champ de la science électorale. On peut en effet analyser les résultats dans une autre perspective, celle de la structuration de la nation française. Et en cette occurrence, nous pouvons alors considérer que l’évolution en cours renferme les germes d’une rupture à venir.
2. Mise en perspective des résultats au-delà du champ de la science électorale
Les scores de l’UMP et du PS signent la désillusion manifeste des Français à l’égard de formations politiques jugées de plus en plus incapables d’assurer la prospérité de la France. En effet, pour des partis qui entendent représenter l’essentiel du champ politique, obtenir de tels scores confine à l’humiliation. De scrutins en scrutins, nous assistons à la fois à une augmentation significative de l’abstentionnisme et du vote sanction, non contre un parti, mais contre un système, un personnel, une doctrine politiques.
Trop de commentateurs politiques ont encore le réflexe de se fourvoyer entre deux analyses des résultats du FN. Soit on crie au loup en évoquant les chiffres électoraux comme autant de menaces préfabriquées contre l’ordre social, la paix nationale et les institutions, en envisageant une victoire future du FN comme le début de la fin. Soit au contraire, on cherche à montrer que les électeurs du FN sont des désespérés et non des idéologues, qu’il convient en dernière analyse de convaincre de l’inanité de leur choix, que leur mauvaise humeur est à mettre sur le compte de la crise et que diminuer le nombre de chômeurs est la solution universelle.
Dans un cas comme dans l’autre, l’erreur fondamentale, à mes yeux, est de ne pas considérer le phénomène en tant que désagrégation sociétale. A force de traiter les résultats électoraux en tant que tels, sans remettre en question la capacité de la société française à produire un discours identitaire, culturel et fédérateur, à force de s’interdire d’adopter un point de vue structuraliste propre à identifier les causes intrinsèques de l’affaiblissement du contrat social, un écart est apparu entre le ressenti de la population et l’explication produite par la sphère des élites.
Durkheim découvrant la notion d’anomie dans l’explication du suicide, montre que tout individuel que soit cet acte, une corrélation existe avec l’évolution du taux de cohésion sociale. Déterminer un tel lien nécessite de s’affranchir des lieux communs. C’est le propre de la sociologie. Ce devrait être aussi celui de la science politique. Il en est de même dans l’appréciation du vote Front National. L’anomie dont la France souffre dépasse de loin la cause circonstancielle ou conjoncturelle. Elle est un affaiblissement inexorable de la confiance dont un peuple doit gratifier ses dirigeants et ses institutions. Elle procède d’une perte de repère globale.
Il n’y a plus de réponse aujourd’hui, à la question « qu’est-ce qu’être Français ? » Les politiques contournent inexorablement la question en répétant que notre identité est la démocratie, les droits de l’homme, la république, la Révolution. Non seulement cela ne nous identifie aucunement par rapport à toutes les autres nations occidentales, mais encore cette production sémantique ne vaut plus rien à l’aune d’une société privée de la structuration minimale qu’un peuple attend de l’Etat qui est le sien, à savoir, la sécurité de la vie quotidienne, les valeurs culturelles de reconnaissance entre les individus, les modes de vie infra-territoriaux différenciés et valorisés, la représentation symbolique de ce qui est positif dans l’identité nationale, la culture de l’effort de chacun au service de la communauté.
Il ne s’agit aucunement de faire l’apologie de l’enfermement du pays – il faut l’indiquer pour ne pas être mis à l’index du progressisme intellectuel – . Il suffit en revanche de considérer comment les autres nations qui nous sont proches en termes de développement, de niveau de vie, d’assise territoriale (Royaume-Uni, Allemagne…), ou sur le plan civilisationnel (Etat-Unis…) considèrent la production du discours idéologico-normatif, comment les signes de l’appartenance à une nation sont présents dans les territoires, pour se convaincre que la France a détruit l’essentiel de ce qui est le substrat identitaire d’elle-même.
Depuis la Révolution, notre pays s’est convaincu, par un discours universaliste et idéologique, que les principes philosophiques suffisaient à faire une nation, et même permettaient de rechercher par la guerre la destruction des autres formes de pouvoirs étatiques qui n’y adhéraient pas. Erreur fondamentale s’il en est. Un peuple est d’abord une somme d’individus dont la préoccupation première est leur propre vie et celle de leur proches. Or, une vie réussie, c’est une vie reposant sur des habitus, dans un cadre apaisé, avec la conscience claire de ce que l’on doit à l’Etat et le désir de lui en être reconnaissant.
Une telle évocation semble incroyable, en France, alors qu’elle est un prédicat de la conscience nationale de nos voisins et de la très grande majorité des Etats.
Les scores de plus en plus importants du Front National peuvent alors être analysés comme une réponse au mal-être d’une population déracinée de ses ancrages identitaires et culturels au profit d’un universalisme sans contenu, purement théorique et systématiquement censeur de toute spontanéité que le dogme entend extirper de la conscience individuelle par « l’éducation » et « la loi ».
C’est très exactement par cette interprétation que l’inquiétude sur l’avenir devrait être la plus grande. Car les masses déracinées sont révolutionnaires par nature.
Pour en finir avec la culpabilisation du peuple français !
En préambule de cet article, je voudrais poser une question… conséquente : Est-il possible, en France, de défendre une position générée par une personnalité du Front National ou en lien avec un point de vue défendu par ce parti sans être fiché comme thuriféraire d’extrême droite ? Au vu des articles consternants ayant suivi l’élection d’Alain Finkielkraut à l’Académie Française, on peut en douter. Eh bien ! La résistance contre toute forme d’oppression étant par nature justifiée, je passerai outre le terrorisme de la pensée, car la recherche de la vérité et la réflexion ont toujours eu un prix à payer. Je n’hésite donc pas…
Les médias – comme il fallait s’y attendre – se focalisent désormais sur les mairies ayant une majorité Front National. La démocratie a pourtant parlé lors des Municipales : aucun bureau de vote n’a été pris d’assaut par un candidat ou un parti, aucune arme à feu n’a été retrouvée dans les isoloirs… mais, comme d’accoutumée, certains ne veulent pas admettre les résultats… C’est même au nom de la démocratie qu’ils s’insurgent de l’élection de certaines listes et que des comités de vigilance ici et là se forment pour contrôler les abus qui ne manqueront pas d’être commis ! Comment accepter un tel discours ? Comment ne pas être écoeuré par de telles pratiques totalement ineptes dans le cadre d’une vieille démocratie apaisée ? Comment ne pas considérer que l’argument démocratique brandi comme s’il était en péril n’est que le leurre d’une société dont des groupes se sont arrogés le monopole de la bonne pensée et des vérités d’évidence ? Peu importe qu’il y ait ou non cohérence du discours avec la réalité, peu importe de ce que souhaite la majorité des électeurs. La bonne pensée a toujours raison. Elle sait ce qui est bon, et se donne même comme vocation de redresser les mal-pensants.
A Villers-Cotterêt, le maire Franck Briffaut a décidé de ne plus commémorer l’esclavage dans sa commune. A priori, il en a le droit. Las ! les bonnes âmes s’en sont émues en évoquant les sempiternels refrains légitimes par nature (il est normal de commémorer l’esclavage ; ne pas vouloir le faire, c’est du racisme). Le tout avec la larme à l’œil de la repentance (pour les horribles crimes coloniaux) et la vocation de prophylaxie sociale (pour l’éducation des citoyens récalcitrants).
Posons un instant un esprit critique sur la situation :
1) La société s’est coupée de ses racines historiques, culturelles et spirituelles en prétextant la libération de l’individu des « chaînes de sa servitude ».
2) Mais la démocratie ne suffit pas à former les esprits. Il faut donc des références idéologiques. On invente alors des principes supérieurs qu’on totémise.
3) Pour agréger les esprits, on créé des conflits (quand il y a des droits ou des principes à revendiquer, il y a une dynamique qui entraîne les masses). De plus, revendiquer, c’est le mode privilégié de la lutte contre une inégalité ou une injustice. La légitimité est donc a priori.
4) Comme support, on créé de toute pièce des commémorations (en l’espèce, celle en question ne date que de 2007).
5) A partir de leur création, elles deviennent intouchables. A cette fin, ceux-là même qui luttent à l’envie contre l’obscurantisme religieux, utilisent une mystique quasi-identique pour refuser avec l’énergie du croyant bafoué dans sa foi, toute atteinte à la sacralité de la commémoration.
Certes, le processus est à bien des égards puéril et falsificateur. On se paie notre tête en agitant un chiffon rouge. On se complaît dans des logiques de fausses menaces planant sur la démocratie en tirant des ficelles très visibles et en actionnant les ressorts de la peur ou de la sensiblerie. Mais le résultat est étonnamment en accord avec les objectifs.. Le soupçon s’insinue dans les esprits sur l’objet de la révolte, jusqu’à laisser des traces indélébiles.
On comprend alors comment des propos grotesques puissent être tenus par les opposants au maire de Villers-Cotterêt… avec les accents de la légitimité absolue, alors qu’ils ont été battus aux élections et qu’ils sont minoritaires dans la commune. Mais les cris des opprimés sont toujours entendus…
A titre personnel, je crois que cette habitude de la repentance, du pardon aux anciens peuples colonisés, de la chasse aux racistes et toutes les thématiques corrélatives, sont une menace considérable pour la cohésion du pays. Contrairement à ce que les loges maçonniques ont cru, l’auto-flagellation et la culpabilisation ne servent à rien lorsque le peuple ne se sent pas coupable. Dans l’Allemagne des années 50 et 60, un tel discours était reçu par tout le monde comme une évidence, parce que la population avait été partie prenante au régime nazi à un titre ou à un autre. Décréter en France que nous sommes coupables d’avoir colonisé des pays ou d’avoir pratiqué l’esclavage (aboli il y a plus d’un siècle) est inaudible. Et c’est fort heureux.
Un tableau de la France en cette fin d’année 2013
Comme il est de coutume dans tous les médias, nous pouvons profiter de cette fin d’année 2013 pour tenter de dresser un tableau de la situation de la France.
« Comme il est de coutume« , dis-je… surtout quand ça va mal, comme nous ne pouvons qu’en faire le constat amer. Car force est de reconnaître que nous n’avons que bien peu de raison de nous satisfaire de la situation. Les sondages comme les études d’opinions ne cessent en effet de montrer le pessimisme ambiant qui règne en France depuis plus d’un an et qui ne semblent pas vouloir considérer que l’année qui vient puisse être fondamentalement différente.
Sur le plan politique, il est presque inutile d’ajouter au déferlement de critiques dont le pouvoir exécutif est désormais la cible quotidienne. François Hollande n’est pas à la hauteur de la fonction. Il a été élu à la présidence de la République par une double négation. A la primaire du parti socialiste, c’est par défaut qu’il fut élu, en tant que ventre mou des différents courants internes au parti. Et contre Nicolas Sarkozy, victime d’un rejet de l’opinion non seulement de gauche mais aussi de la branche conservatrice de l’UMP, il n’eut qu’à réciter un bréviaire d’inaction en perspective d’une présidence normale. Comme je l’avais mentionné plusieurs fois antérieurement à la présidentielle de 2012, et notamment dans un article « Petite analyse de science politique« , François Hollande avait également un avantage important sur son rival : d’une présidentielle à l’autre, on distingue nettement à quel point l’opinion publique vote tel un balancier, une fois pour un homme (et un programme) réformateur, ambitieux, prêt à vouloir engager un combat pour faire bouger les lignes, puis la fois d’après, pour un candidat consensuel, « juste milieu » comme dirait Verlaine, prompt à calmer l’inflation réformiste. Après Nicolas Sarkozy, la bonhomie hollandaise ne pouvait que faire merveille…
Mais la question politique ne s’arrête pas, loin s’en faut, à un problème de casting. Car la gestion de la crise, les économies à réaliser, les trois millions de chômeurs, la déconfiture de l’industrie nationale… ne devaient surtout pas être traitées par les vieilles lunes de l’Etat omnipotent dont on sait aujourd’hui qu’il n’aura été qu’un gaspillage du trop plein des « trente glorieuses » ainsi que la résultante d’une gauche révolutionnaire (parti communiste et affidés) déçue de n’avoir pas réussi à convaincre l’URSS en 1945 de transporter en France le paradis communiste du bloc de l’Est en constitution, et qui s’est jetée à corps perdu dans une surenchère de la prise en charge individuelle comme préalable à la destruction de la société capitaliste.
Or, toute en rondeur quelle soit, la gauche de François Hollande, totalement étrangère à l’économie réelle – à l’image d’Arnaud Montebourg qui pensait pouvoir contrecarrer les fermetures d’entreprises par la rhétorique et la présence médiatique – croit encore que l’emploi subventionné des jeunes suffit à déguiser le chômage en sortie de crise, et ne veut pas admettre que seul le dégonflement d’une fonction publique hypertrophiée peut redonner à l’Etat la capacité d’action. Et encore entendons-nous bien : la capacité de l’Etat à agir ne peut se faire que par la négative, c’est à dire par des mesures de baisse massive des impositions du secteur productif, et surtout pas par des interventions directes de redistribution.
Sur le plan sociétal, la France a connu une période tout à fait inédite depuis de longues années. La loi sur le mariage des homosexuels a en effet donné lieu à un vaste mouvement dont les acteurs principaux ne sont que peu politisés (même si, convenons-en, la grande majorité était de sensibilité de droite), ne formant donc pas un bloc idéologique homogène, et qui ont pu mobiliser des centaines de milliers de manifestants plusieurs fois en quelque mois, sans pour autant que la loi fût ajournée. De part en d’autre de la ligne de fracture entre les tenants et les opposants, il est notable d’observer qu’aucun dialogue ne fut vraiment possible. Doctrine contre doctrine, idéologie contre idéologie, philosophie contre philosophie, le champ des idées fut investi mais ne trouva aucune possibilité de dialectique, c’est à dire d’un dépassement des deux oppositions. A la liberté et l’égalité des situations juridiques invoquées par les partisans de la loi, il fut opposé une certaine image de la famille traditionnelle et de la filiation par ceux qui la contestaient. Comment pouvait-on entrevoir l’aboutissement d’une telle rupture, sinon par le célèbre adage socialiste de 1981 récité par André Laignel « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires » ?
Sur le plan de la cohésion nationale, les clivages idéologiques sont de plus en plus difficiles à observer. A une bipolarisation artificielle de l’échiquier politique (qui rendait bien service lors de la formation des majorités électorales, mais qui n’a jamais correspondu à l’état des idées politiques en France), on assiste de plus en plus à un émiettement des idées qui se traduit par une pression interne aux deux grands partis politiques (UMP et PS) de plus en plus menacés de déformation centripète, et par des clivages à géométrie variable entre des tendances et des courants très minoritaires (centristes notamment) mais dont le rapprochement circonstanciel peut conduire à des minorités de blocage. Enfin, le Front National apparaît de plus en plus comme un aggloméré de sympathisants venus de tous les courants politiques et trouvant une sorte d’exutoire à un phénomène de ras-le-bol à la fois économique et identitaire.
Au total, nous avons un tableau profondément pessimiste de la France. Il n’y a guère de sujets qui puissent être motif de satisfaction. Mais, disons-le de suite : nous devons nous interdire de croire que le malaise est engendré par des décisions de court terme et qu’il suffirait d’un changement électoral pour retrouver un âge d’or vertueux. Les questions fussent-elles politiques qui sont ici posées, nécessitent une réflexion d’ensemble approfondie, dépassant les cadres actuels des références politiques et faisant fi des idéologies mêmes dominantes.
C’est une belle exigence que nous pouvons nous donner à nous-mêmes pour l’année qui vient… Engager une réflexion pour un avenir…