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La liberté d’expression… un droit pour soi, ou une arme à sens unique contre les autres ?

L’attentat contre Charlie Hebdo a fait se lever un fort courant de sympathie pour les victimes d’un terrorisme totalement abject. Ce n’est que justice, et il est inacceptable d’entendre ici ou là des commentaires tendant à justifier de tels actes. Le mouvement populaire qui s’en suivit peut être interprété de manière optimiste, comme étant le resserrement d’un peuple autour de valeurs communes, de principes supérieurs. Le Gouvernement n’a pas tardé également à réagir avec un discours énergique, volontaire, saturant l’espace médiatique d’envolées lyriques et de bonnes intentions. Et l’Assemblée nationale s’est fendue d’une Marseillaise improvisée par des députés bravaches…

Le tout à l’avenant, dans une communion quasi unanimiste et un discours entendu.

Malheureusement, je crains qu’au final, rien de l’essentiel ne fut dit.

Je ne reviendrai pas sur la dimension « terroriste » des attentats. La condamnation la plus absolue et la réaction la plus implacable sont les seules réponses adéquates. J’ose espérer que les bonnes intentions ne resteront pas lettre morte, car ce serait un appel d’air pour de futurs candidats abrutis par leur idéologie mortifère.

Ce qui me semble en revanche devoir faire l’objet de réflexions approfondies, c’est précisément ce qui n’en donna pas lieu, comme suite à un processus utilisé en surabondance par nos sociétés modernes, et que j’appellerai « les évidences doctrinaires ». Il s’agit de la « liberté d’expression »…

Oh ! Je mesure toute l’audace dont je fais preuve en écrivant sur ce sujet ! Car, à part s’en prévaloir comme d’un totem, je n’ai rien entendu qui fût véritablement pensé… On se contente de l’invoquer avec la déférence qui sied d’avoir pour le normatif sacralisé…

La liberté d’expression est une conquête de la Révolution de 1789. Elle fut la déclinaison d’un corpus de libertés substitué à un système d’ordres et de structures dont la monarchie ne parvenait pas à se défaire, à l’inverse de ce que la Couronne britannique avait déjà réalisé.

L’expression libre des idées, ainsi  que le fait de pouvoir manifester son opposition ou ses critiques face à des décisions ou des orientations politiques, nous parait aujourd’hui aller de soi. Nous sommes attachés à la liberté de la presse, vecteur indispensable des opinions. Nous pouvons écrire et être lus, même si, avec Internet, ce peut être des inepties définitives…

Cette capacité à émettre une opinion est devenue consubstantielle des sociétés modernes. Et c’est évidemment une bonne chose.

Il y a cependant un paramètre que nous omettons souvent de préciser lorsque nous louons les principes de liberté. C’est qu’ils n’ont pas été exempts d’arrières pensées lorsqu’ils furent gravés dans le marbre des institutions. Beaucoup plus que par désir de donner des droits au plus grand nombre, ils furent une arme tournée contre des systèmes de pensée et contre la religion catholique, non pour en disputer contradictoirement les principes, mais pour en détruire leur fondement. Il ne s’est donc pas agi notamment de contester l’universalisme religieux certes largement omnipotent à cette époque, mais de chercher à saper l’idée religieuse en imposant la libre pensée comme la seule expression la plus aboutie… de la liberté.

A trop vouloir contester les principes monarchiques et l’emprise de la religion catholique sur la société, les révolutionnaires ont remplacé mutatis mutandis les dogmes de la foi par les dogmes de l’irrévérence religieuse. Est-ce là clairement l’expression d’une liberté en tant que telle ? Non, car il s’en suivit une atteinte systématique à la liberté religieuse, que le principe de laïcité a tenté vainement de camoufler au fil des décennies. Lentement, la société a laissé se développer l’idée que la foi n’était qu’une survivance quasi anachronique, que son expression devait disparaître de l’espace public, que les croyants devaient se faire discrets… La loi de 1905 est à cet égard le dernier coup de boutoir pour reléguer l’Eglise dans un statut de simple tolérance.

Privée de canaux de communication, l’Eglise ne put bénéficier des mêmes libertés d’expression que ceux qui se sont faits les chantres de l’irréligion. On lui interdit toute immixtion dans le champ du politique, tout en continuant de se moquer de tout ce qui la constitue (sa hiérarchie, ses fidèles, sa foi…).

Mais où est donc la liberté dans le fait de se moquer de la foi d’autrui ? Quel apport dans l’échange des idées que d’insulter ceux qui croient ? Aucun, bien évidemment. Ce n’est pas une réflexion qui est menée, c’est une posture idéologique de haine vis à vis du principe religieux. Car insulter par la moquerie est une forme de haine, qu’on le veuille ou pas. C’est la haine de ceux qui prétendent être suffisamment éclairés pour fouler du pied « l’obscurantisme religieux »…

Que se passerait-il si l’Eglise tenait un discours parallèle aux attaques dont elle est victime ? Si elle utilisait les capitaux d’investisseurs pour abreuver d’insultes, par titres de presse  interposés une société païenne misérable ? Ou si elle traitait le président de la République avec les termes dont se sert Charlie Hebdo pour ridiculiser le pape (représenté, par exemple avec une plume dans les fesses) ? Les cris d’orfraie ne manqueraient pas ! 

Les catholiques de France ont tant été victimes de cette violence dogmatique qu’ils en sont venus à ne plus oser avouer leur foi en public. La vraie raison de la forte baisse du nombre de croyants n’est autre que l’implacable dévalorisation de l’idée même de la croyance en Dieu. En d’autres termes, la seule liberté valorisée fut de professer son dégoût du religieux. Cela porte un nom : le sectarisme.

Or, quoi de plus contraire au vrai principe de liberté que d’écraser de mépris ceux qui confessent leur foi comme une explication des mystères de la vie ?

Charlie Hebdo est évidemment l’archétype même de cette posture dogmatique. La moquerie sous couvert de liberté, des dessins vulgaires et hostiles n’apportent strictement rien à une réflexion libre. Que chacun, en conscience ait une image positive ou négative de la religion est le fondement de la liberté de conscience. Son expression violente et publique est une attaque gratuite très discutable.

Après avoir passé des années à cracher sur l’Eglise, voici désormais que la religion musulmane est visée par l’hebdomadaire, sans cause, non pas pour contrecarrer un prosélytisme qui serait jugé déplacé (ce qui, le cas échéant, pourrait conduire à une telle réaction) , mais simplement pour affirmer en substance que toute idées religieuse est à détruire, par tout moyen, et en particulier par… la liberté d’expression… Les islamistes sont certes visés, mais c’est un prétexte, car caricaturer Mahomet emporte une attitude dogmatique d’irréligion et non de réaction vis à vis d’une intolérance religieuse.

Exposer des points de vue athées, argumenter dans le sens d’un refus de toute transcendance est un droit tout à fait évident. Mais l’ironie et le mépris ne sont en rien de ce droit.

Lorsque la liberté cesse d’être un droit pour débattre, pour affirmer son point de vue, pour réagir face à un pouvoir contestable… pour devenir le paravent d’une idéologie, en s’accaparant le principe de liberté d’expression… et en insultant autrui dans son intimité, on est en droit de s’élever contre une oppression d’autant plus méprisable qu’elle se cache derrière les termes de liberté…

Alors, en cette occurrence, vous me permettrez de conclure simplement : « Je ne suis pas Charlie ».

Pourquoi je n’irai pas à « la marche républicaine »

Le drame des attentats contre Charlie Hebdo et contre le supermarché casher de la porte de Vincennes révolte la conscience. L’indignation qui en résulte est bien légitime. Que resterait-il d’humanité en nous, si nous n’éprouvions pas de répugnance face à un tel déferlement d’horreur ?

Il n’y a donc a priori que de bonnes raisons pour avoir envie d’extérioriser sur la place publique notre compassion devant l’abject et notre résolution à ne pas se résigner.

Sans doute. Pourtant, dans cette communion nationale, quelque chose n’est pas clair.

C’est dans l’arrière fond, dans les souterrains nietzschéens, dans le ressort idéologique souvent inconscient, dans la superstucture marxiste, que la légitimation se trouble jusqu’à s’opacifier. Plusieurs points, à cet égard méritent d’être évoqués.

  • L’attentat contre Charlie Hebdo évoque, certes, une atteinte à la liberté d’expression. Mais, n’est-ce pas avant tout des meurtres dont il s’agit ? Est-ce que l’assassinant de douze personnes n’est pas un motif suffisant pour susciter de l’émotion, pour que l’essentiel des réactions porte sur le seul rapport à la liberté ? L’indignation qui se cristallise dans la sphère médiatique comme dans l’opinion s’est trouvée un slogan : « Je suis Charlie »… Comme si l’atteinte à un média était plus importante que les victimes. Peut-on croire que ces dernières se définissaient davantage comme caricaturistes que comme être humain ? Au vrai, il importe peu que le ressort de l’attentat fut une vengeance contre les idées véhiculées par l’hebdomadaire. Lorsqu’un mari tue sa femme par jalousie, cela reste un drame domestique, et non une atteinte à la femme en général. La confusion présente n’est cependant pas anodine.
  • L’arrivée massive du personnel politique dans ces mouvements publics me laisse perplexe. La sécurité publique est de moins en moins assurée… alors qu’elle est dévolue tout entière à l’Etat. Il y a là un échec déplorable des politiques et des services administratifs de renseignements (voir article). Avons-nous pour autant entendu un mea culpa ? Absolument pas. François Hollande a entrepris, depuis les voeux du Nouvel An, de nous dire quelle attitude les Français doivent avoir devant la crise et les difficultés (en restant optimistes), et désormais devant les attentats (en restant debout)… mais en oubliant qu’il est entièrement responsable, comme tout le personnel politique.
  • L’islamisme est un fléau mondial. Mais comment ne pas voir qu’il s’est propagé en France dans les banlieues, dans les écoles, dans les prisons, dans les mosquées, au coeur même de la nation, et que des imams fanatisés déversent tous les jours dans leurs prêches le fiel contre la France et ses institutions ? Notre pays, par l’abdication de son identité, la création des banlieues, le renoncement à légiférer sur l’immigration inassimilable, a favorisé l’émergence et la propagation de ces dérives. Comment alors situer « la marche républicaine » dans ce fatras de responsabilités et d’échecs ?
  • « La marche contre la terreur et pour la liberté »… C’est un slogan extrêmement fort… comme les affectionnent tant les thuriféraires droit de l’hommistes… Soit. Mais on entend aussi dans le déversoir médiatique les éléments de langage du politiquement correct : « Attention aux amalgames… Il n’y a qu’une poignée de déviants fanatisés. Surtout ne pas généraliser… » C’est entendu. J’aurais alors besoin que l’on m’explique comment peut-on se mobiliser par millions pour un fait accompli ayant une si faible base militante. Si il est vrai que c’est une poignée de fanatiques qui est en cause, leurs crimes s’apparentent à du droit commun. Je ne vois guère comment la société pourrait se sentir menacée… Cette contradiction est essentielle.
  • Ainsi donc, au regard des différences de traitement de certains faits, nous pouvons les hiérarchiser ainsi : Manifestement, tuer des caricaturistes est un drame national qui mobilise la population. En revanche, les trois enfants juifs que Mohamed Merah a tués (et les sept personnes au total)… méritent certes, un traitement particulier, mais pas la grande communion dans la rue.

« La marche républicaine », les slogans et les émotions médiatiques ont en réalité une seule vertu : Ils permettent d’agréger une population privée de tout repère normatif que la société post-moderne ne peut plus proposer. Ils créent le réflexe de protection de la société en danger. Ils nous confortent dans l’idée que nous avons à sauver notre modèle. On se gargarise des peurs fantasmées pour resserrer les rangs. Nous sommes en pleine auto-fabrication du mythe.

Mais le mythe est écorné. Car de modèle, il n’y en a pas. Et nous ne pourrons pas encore longtemps nous contenter des quelques expressions politiques éculées en guise de valeurs. La société se perd non à cause de ses ennemis, mais à défaut d’exister dans le champ de la représentation symbolique normative et culturelle. Elle n’est qu’une coquille vide parée des vertus de la République…

 

En complément, voici deux articles éloquents en cette occurrence : 

Philippe Bilger : Pourquoi je ne participe pas à «la marche républicaine» (Le Figaro 11 janvier)

– Jean-Pierre Le Goff : «Le désir d’union ne doit pas nous empêcher d’affronter la réalité» (Le Figaro du 10 janvier)

Pourquoi y-a-t-il une « affaire » Dieudonné ?

Au regard de la médiatisation et du déchaînement des passions qui entourent « l’affaire » Dieudonné, la question, je le crois, mérite d’être posée. Toutefois, je n’ignore pas le risque que je prends en tentant une approche singulière d’une histoire qui semble ne pouvoir se résoudre que sous l’angle de la provocation ou de l’expédition punitive. Les passions en jeu, la qualité des protagonistes et les pressions idéologiques sont des armes d’une violence inouïe qui, lorsqu’elles sont tournées contre soi, génèrent une mise à l’index équivalant à une mise à mort… Pourtant, j’ose aborder cette affaire… tout simplement parce qu’il serait inconvenant, dans le cadre de ce site que des questions faisant débat puissent échapper à la réflexion. Ce d’autant, que tant de passions fait sens…

Qu’avons-nous, comme préalable ? Dieudonné. Il s’agit d’un humoriste, présent depuis déjà pas mal d’années dans la sphère médiatique. Comme tout artiste, il bénéficie a priori de l’immunité du créateur. En d’autres termes, la société considère que sous l’angle de la création artistique – littéraire, cinématographique, picturale, ou tout autre forme -, l’artiste conserve une liberté de ton que l’on refuse généralement au tout un chacun. C’est ainsi que la multiplication des spectacles modernes du type des « one man show » a permis de laisser se diffuser des insultes à l’encontre de personnalités publiques (notamment politiques) sans que la justice ne trouve à y redire, ou si peu. Guy Bedos a été en cela une sorte de précurseur, comme Thierry Le Luron ou Pierre Desproges (car je ne crois pas possible de remonter à de grands devanciers tels Alphonse Allais, Pierre Dac ou  les bons mots de Sacha Guitry, car les jeux de l’esprit d’alors procédaient d’une tout autre nature que la plupart des spectacles d’aujourd’hui, à part quelques exceptions comme Raymond Devos), suivis depuis par un nombre très important d’humoristes dont le fonds de commerce est souvent lié à des moqueries sur le physique, la manière de s’exprimer, ou même sur une prétendue inintelligence de leurs victimes. Citons par exemple Christophe Alévêque, Stéphane Guillon, Laurent Gerra ou Nicolas Bedos (mais il y en a d’autres). Bien sûr, beaucoup d’humoristes choisissent l’humour de situation et les histoires drôles plutôt que la moquerie personnelle sur fond d’oppositions politiques ou idéologiques (et la liste est heureusement longue), mais force est de reconnaître que la moquerie personnelle est de plus en plus fréquente. A cela s’ajoute ce que j’appellerais le « syndrome de l’artiste engagé », dont sont atteints nombre d’artistes politiquement à gauche, et qui trouvent naturel de cracher sur leurs bêtes noires par le biais d’une ironie délégitimante. Nicolas Sarkozy en a largement fait les frais. Là encore, ce mode d’expression, qui n’a rien à voir avec une discipline artistique et qui est très éloigné d’un prétendu intellectualisme parfois revendiqué (!) a quelque chose de troublant.

Deux objections sont souvent émises à l’encontre de cette analyse : D’une part, il est fait mention de la difficulté de trouver la ligne de séparation entre le droit à l’humour, voire à l’insolence – qui a toujours existé et qui est un exutoire tout à fait sain dans une société – et le déversoir de haines ou de doctrines sous couvert d’un prétendu humour, ou de la liberté de l’artiste. D’autre part, on invoque également la dangerosité de proclamer des interdits ou des tabous, sachant les dégâts commis par les censures dans les pays qui s’y adonnent. Ces objections sont évidemment recevables. Et loin de moi l’idée de trancher ex abrupto entre ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas, ou pire, de décréter que certains sujets devraient être interdits. Je crois qu’au delà de tout jugement péremptoire, il est plus utile au débat de considérer l’évolution d’une société qui renonce de plus en plus à une éducation policée, respectueuse, cultivée… civilisée, au profit d’un relâchement moral, d’une banalisation de la grossièreté, d’un appauvrissement culturel et d’une indécence proclamée devant toute autorité. J’avais écrit un article en 2009 sur cette évolution dont l’élection de Nicolas Sarkozy me semblait être un témoignage (« Nouvelle pratique politique ou nouvelle praxis sociétale ?). Vous pouvez y accéder dans l’onglet « Rétrospective » qui reprend quelques articles antérieurs publiés sur d’autres sites et blog.

Dans quelle catégorie doit-on « ranger » Dieudonné ? Au vu des thèmes qu’il reprend très souvent (religion, politique…) qui sont donc polémiques et chargés d’affects (puisque liés à des convictions ou qui relèvent de la foi), ainsi que des critiques ironiques souvent acerbes qu’il fait de personnes nommément désignées, il n’y a pas de doute sur son « appartenance » à la sphère des humoristes qui trouvent dans la caricature outrancière l’essentiel de leur inspiration.

Reconnaissons-le : Il y a quelque chose d’un peu gênant à se faire insulter simplement parce que l’on exerce une fonction publique sans pouvoir agir pour que cela cesse. Les Guignols de Canal + sont un exemple frappant des dérives d’une société qui ne veut plus reconnaître la notion de respect. Je ne suis pas sûr que nous devrions abdiquer sur cela. Le respect n’est pas une fioriture démodée. Il est la base même de la vie policée en société. Et là, manifestement, nous n’allons pas dans le bon sens.

Mais ce ne sont pas ces considérations qui sous-tendent désormais la levée de bouclier à l’encontre de l’humoriste. Car ce qu’on lui reproche n’est pas une infraction ordinaire. Depuis plusieurs années déjà, Dieudonné manifeste une réelle envie de ne pas respecter l’interdit de l’antisémitisme. Alors même qu’il se défend de cette accusation – et en cette occurrence, une telle qualification mérite d’être étudiée – la classe politique est désormais quasi-unanime (à l’exception notable du Front National) pour demander que des sanctions soient prises. Mais Dieudonné poursuit sans sourciller, et a inventé un signe appelé « la quenelle » que certains apparentent à un salut nazi, alors que d’autres estiment qu’il ne s’agit que d’un signe de contestation qui s’est désormais répandu chez les jeunes.

Je crois que, ainsi armé de ces quelques préalables, nous pouvons analyser cette affaire sans passion… du moins si on nous concède l’idée qu’une analyse des faits est encore possible dans notre société, sans risquer la diabolisation…

  1. L’idée que la liberté d’expression en général et la liberté de l’artiste en particulier puissent être invoquées pour défendre une position qui viendrait heurter les valeurs fondamentales d’un groupe quelconque d’individus, ou de bafouer une référence à une époque dramatique, ou de ne pas respecter les défunts liés à des actes sans autre justification que celle de choquer, de se moquer, de dévaloriser, d’humilier, pose réellement problème. Le pseudo artiste qui immerge un crucifix dans un bocal d’urine, les caricatures de Mahomet croquées pour en salir la référence, la folle de Femen qui investit l’église de la Madeleine et qui singe l’avortement de Marie devant l’autel… sont des inepties absolument condamnables. Que l’on ne viennent pas me dire que certains de mes exemples sont de l’art… Ce n’est, en vrai, qu’une provocation, liée comme les autres outrances à cette idée qui prévaut depuis la Révolution, que rien ne doit plus être sacré. Mais l’Etat a cessé de l’être depuis longtemps… Alors il n’est pas acceptable que l’on se paie la tête de ceux qui n’ont pas envie de souscrire au désenchantement du monde… qui n’est qu’un point de vue comme un autre. Nous répétons à satiété un adage (qui ne veut absolument rien dire, mais qui est rendu universel) : « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ». Il n’y a pas de liberté possible pour un catholique à qui l’on interdit d’exprimer sa foi et que l’on condamne à subir les blessures de ceux qui s’en moquent. C’es donc en cette occurrence que je ne suis pas d’accord avec la position du Front National qui invoque la liberté d’expression pour récriminer contre les tentatives du Gouvernement de museler Dieudonné. En d’autres termes, si l’analyse des propos de l’humoriste conduit à estimer qu’il blesse de manière évidente et forte, à la fois l’identité et les convictions profondes d’un groupe particulier, il en sera donc coupable. Est-ce une société totalitaire, liberticide et omnipotente qui serait le résultat d’une réglementation plus stricte en matière de diffamation ? Je ne le crois pas, car ce serait alors confondre l’érection des tabous que la société ne cesse de nous opposer pour orienter l’opinion publique, et le bon goût… L’éducation de qualité n’a pas besoin des sanctions pénales pour respecter autrui.
  2. A cette première analyse, il convient de mettre en regard le fait qu’aucun des exemples que j’ai cités (Crucifix, Caricatures et Femen) n’a donné lieu à condamnation pénale. Pour la Femen, dont l’acte décrit a été commis avant Noël, nous ne pouvons préjuger des suites donnés, mais il ne semble pas, à ma connaissance que grand chose se passera puisque la plainte déposée par le prêtre a déjà été classée sans suite.
  3. En ce qui concerne les propos de Dieudonné, nous avons à la fois les enregistrements de ses spectacles et ses propres commentaires sur le web (en particulier sur YouTube). Et là, il convient de prendre en compte qu’une différence d’interprétation existe entre ce qui lui est reproché et ce qu’il répond en défense. Il est clairement accusé d’antisémitisme, tandis que lui évoque une position antisioniste. Et ce n’est évidemment pas une simple question de vocabulaire, car les deux termes ne sont pas synonymes. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, les sociétés occidentales ont érigé la question juive en une sorte de sujet interdit. Les atrocités commises contre les Juifs imposaient – et imposent toujours – l’expression d’une grande pudeur et une retenue particulière. C’est ce qui est le plus souvent observé en France  notamment, et c’est absolument légitime. En revanche, considérer que toute critique de la religion juive, de la politique menée par Israël, ou tout trait d’humour sur les « Juifs » en général sont frappés d’une censure ex ante et absolue, n’est pas une position tenable à deux égards au moins : En premier lieu, ce serait une sorte d’immunité accordée ex cathedra (si je puis dire) à toute personne de confession juive, quelle qu’elle soit, au regard du seul critère d’appartenance religieuse, telle une nouvelle « discrimination positive ». Cela n’est pas admissible. La population juive a été victime de la Shoah, certes. On ne peut admettre qu’elle en est encore victime aujourd’hui. Les Juifs sont des personnes comme les autres. Et leur religion doit être respectée comme les autres. Pour ma part, je déplore le peu de considération que l’on témoigne en général aux religions, et en particulier à l’Eglise catholique qui fut le berceau de l’identité de notre pays (car la France à 1500 ans). Je suis donc enclin à ne pas admettre la profanation morale et idéologique des religions qui ont tant apporté à la réflexion intellectuelle et philosophique sur ce qu’est l’homme.
  4. Mais à ces considérations théoriques, il faut également comparer les propos de Dieudonné avec les atteintes répétées et si peu sanctionnées à l’image de l’Eglise catholique. Dès lors que l’on classe sans suite la prestation de la folle Femen à la Madeleine, je ne vois pas comment il serait possible de paraître outré pour d’autres propos sans doute peu valorisants pour les Juifs, mais loin des humiliations des catholiques. Un tel spectacle de Femen dans une synagogue serait à n’en pas douter autrement médiatisé que ne le sont ceux dans les églises.
  5. La distinction entre antisémitisme et antisionisme est de taille. Même si le CRIF ne semble pas vouloir le percevoir, il serait totalement anormal que le sionisme ne puisse faire l’objet de critiques. Les Juifs sont dans le monde au même titre que les autres. La politique d’Israël, les prises de position de ses dirigents, la position statutaire des Juifs dans les autres Etats (les lobbys aux USA et ailleurs) n’ont rien à voir avec l’antisémitisme. Il ne s’agit pas de porter un jugement in abstracto sur une population, mais d’avoir un point de vue – fût-il critique – sur des actes et des positions, des postures et des points de vue. Les Juifs défendent leurs intérêts à la fois individuels et collectifs. Ils ne vivent pas en marge du monde. Ils réclament qu’on leur reconnaisse une identité. Dès lors, et spécifiquement sur le plan de cette identité qui engage des prises de position, le caractère antisémite d’une critique formulée dans cette occurrence ne serait pas légitime et entraînerait une dissymétrie statutaire injustifiable. Je dis cela, tout en ayant à l’esprit que maintes situations ont précisément conduit à des qualifications d’antisémitisme tout à fait exagérées. Pour ce qui est de Dieudonné, il ne peut être douteux que certains dérapages ont eu lieu. Mais j’ai visionné plusieurs de ses spectacles ainsi que des vidéos dans lesquelles il tente – parfois maladroitement – d’expliquer sa posture. Les propos pouvant être assimilés à de l’antisémitisme sont extrêmement limités. Cela ne signifie pas qu’il faille passer dessus. Mais la virulence des réactions politiques est tout à fait outrancière.
  6. Puis vint l’affaire de la quenelle… Il semble acquis par l’ensemble de la classe politique que ce geste est antisémite. Je suis désolé, mais sa création montre qu’il n’en est rien. Il a bien été, dès l’origine, un geste qui s’apparente à une marque de contestation sociale. Beaucoup de sportifs se sont fait photographier en le faisant, car il n’était alors pas connoté. C’est d’ailleurs une question qui se pose : si le caractère antisémite avait été évident, la polémique aurait démarré bien plus tôt. Son analogie avec un geste « nazi inversé » est une imbécilité inventée par la presse et reprise à satiété par des politiques opportunistes mais très mal informés. Soyons clairs… la manière de faire le geste en dit suffisamment long sur sa signification (que la bien séance m’interdit de nommer plus précisément)… ainsi que le mot « quenelle » lui-même. Nous sommes bien loin d’un geste nazi… Il suffit d’ailleurs de lister les photographies postées sur Internet de milliers de personnes effectuant ce geste sans aucune connotation, alors que quelques dizaines seulement ont le mauvais goût de l’effectuer devant une synagogue, une rue au nom juif, un mémorial ou autre. La disproportion est telle que l’on comprend que la récupération antisémite de la quenelle n’existe que par l’invention qui en a été faite postérieurement par ceux-là mêmes qui s’en offusquent aujourd’hui.
  7. Mais la machine politique, idéologique et bientôt judiciaire est en marche… Manuel Valls s’est fendu de déclamations tragiques pour dire qu’il allait oeuvrer pour que la machine administrative écrase l’indécent. A droite comme à gauche, on récrimine avec des cris de jeunes vierges. Les instances représentatives juives n’ont pas de mots assez forts pour clouer au pilori le monstre en puissance. Mais on ne se contentera pas de punir Dieudonné pour ce qu’il a dit. Toute la subtilité de l’affaire est de lui interdire également a priori de se produire sur scène… c’est à dire de le condamner pour des propos qu’il n’a pas encore tenu.

Comme je l’ai dit, loin de moi l’idée de défendre Dieudonné par le biais de la liberté d’expression. Ce serait la porte ouverte à une déperdition de toute valeur morale car rien ne serait interdit…

Qualifier au plus juste les propos de Dieudonné est une exigence. On ne peut lui refuser l’objectivité sous prétexte qu’il est antisioniste, puisque le droit de critiquer est fait pour tout le monde, et à l’encontre de tout le monde. La mesure et l’absence de calomnie et de diffamation en sont les seules limites. Le CRIF ne devrait pas exagérer la dérive antisémite car on ne gagne jamais à accuser à tort sinon à ne pas être crédible.

Mais il faut aussi replacer Dieudonné dans le contexte actuel d’une société qui ne connait pas les limites du respect. A force de rabaisser l’autorité politique, de piétiner les valeurs spirituelles, de s’accomoder des injures et des grossièretés, elle s’est largement désarmée face aux dérives pas forcément du meilleur goût que certains utilisent comme créneau d’existence publique. Cela rend encore plus malaisé une critique outrancière à son encontre.

Quant à la phrase de François Hollande : « Il faut approuver et soutenir l’initiative de Valls »… ce qui me dérange le plus, c’est la formulation « il faut »… car je ne crois pas que Monsieur Hollande ait une quelconque autorité morale.

Au final, on peut rappeler que Dieudonné a déjà fait l’objet de plusieurs condamnations pour des propos antisémites. Il serait selon moi dangereux d’en faire une victime d’un acharnement médiatico-politique totalement disproportionné. Car de très nombreux Français, en ces temps d’indigence identitaire, ne demandent qu’à suivre celui ou celle qui représentera le combat pour des valeurs.