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Pourquoi y-a-t-il une « affaire » Dieudonné ?
Au regard de la médiatisation et du déchaînement des passions qui entourent « l’affaire » Dieudonné, la question, je le crois, mérite d’être posée. Toutefois, je n’ignore pas le risque que je prends en tentant une approche singulière d’une histoire qui semble ne pouvoir se résoudre que sous l’angle de la provocation ou de l’expédition punitive. Les passions en jeu, la qualité des protagonistes et les pressions idéologiques sont des armes d’une violence inouïe qui, lorsqu’elles sont tournées contre soi, génèrent une mise à l’index équivalant à une mise à mort… Pourtant, j’ose aborder cette affaire… tout simplement parce qu’il serait inconvenant, dans le cadre de ce site que des questions faisant débat puissent échapper à la réflexion. Ce d’autant, que tant de passions fait sens…
Qu’avons-nous, comme préalable ? Dieudonné. Il s’agit d’un humoriste, présent depuis déjà pas mal d’années dans la sphère médiatique. Comme tout artiste, il bénéficie a priori de l’immunité du créateur. En d’autres termes, la société considère que sous l’angle de la création artistique – littéraire, cinématographique, picturale, ou tout autre forme -, l’artiste conserve une liberté de ton que l’on refuse généralement au tout un chacun. C’est ainsi que la multiplication des spectacles modernes du type des « one man show » a permis de laisser se diffuser des insultes à l’encontre de personnalités publiques (notamment politiques) sans que la justice ne trouve à y redire, ou si peu. Guy Bedos a été en cela une sorte de précurseur, comme Thierry Le Luron ou Pierre Desproges (car je ne crois pas possible de remonter à de grands devanciers tels Alphonse Allais, Pierre Dac ou les bons mots de Sacha Guitry, car les jeux de l’esprit d’alors procédaient d’une tout autre nature que la plupart des spectacles d’aujourd’hui, à part quelques exceptions comme Raymond Devos), suivis depuis par un nombre très important d’humoristes dont le fonds de commerce est souvent lié à des moqueries sur le physique, la manière de s’exprimer, ou même sur une prétendue inintelligence de leurs victimes. Citons par exemple Christophe Alévêque, Stéphane Guillon, Laurent Gerra ou Nicolas Bedos (mais il y en a d’autres). Bien sûr, beaucoup d’humoristes choisissent l’humour de situation et les histoires drôles plutôt que la moquerie personnelle sur fond d’oppositions politiques ou idéologiques (et la liste est heureusement longue), mais force est de reconnaître que la moquerie personnelle est de plus en plus fréquente. A cela s’ajoute ce que j’appellerais le « syndrome de l’artiste engagé », dont sont atteints nombre d’artistes politiquement à gauche, et qui trouvent naturel de cracher sur leurs bêtes noires par le biais d’une ironie délégitimante. Nicolas Sarkozy en a largement fait les frais. Là encore, ce mode d’expression, qui n’a rien à voir avec une discipline artistique et qui est très éloigné d’un prétendu intellectualisme parfois revendiqué (!) a quelque chose de troublant.
Deux objections sont souvent émises à l’encontre de cette analyse : D’une part, il est fait mention de la difficulté de trouver la ligne de séparation entre le droit à l’humour, voire à l’insolence – qui a toujours existé et qui est un exutoire tout à fait sain dans une société – et le déversoir de haines ou de doctrines sous couvert d’un prétendu humour, ou de la liberté de l’artiste. D’autre part, on invoque également la dangerosité de proclamer des interdits ou des tabous, sachant les dégâts commis par les censures dans les pays qui s’y adonnent. Ces objections sont évidemment recevables. Et loin de moi l’idée de trancher ex abrupto entre ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas, ou pire, de décréter que certains sujets devraient être interdits. Je crois qu’au delà de tout jugement péremptoire, il est plus utile au débat de considérer l’évolution d’une société qui renonce de plus en plus à une éducation policée, respectueuse, cultivée… civilisée, au profit d’un relâchement moral, d’une banalisation de la grossièreté, d’un appauvrissement culturel et d’une indécence proclamée devant toute autorité. J’avais écrit un article en 2009 sur cette évolution dont l’élection de Nicolas Sarkozy me semblait être un témoignage (« Nouvelle pratique politique ou nouvelle praxis sociétale ?). Vous pouvez y accéder dans l’onglet « Rétrospective » qui reprend quelques articles antérieurs publiés sur d’autres sites et blog.
Dans quelle catégorie doit-on « ranger » Dieudonné ? Au vu des thèmes qu’il reprend très souvent (religion, politique…) qui sont donc polémiques et chargés d’affects (puisque liés à des convictions ou qui relèvent de la foi), ainsi que des critiques ironiques souvent acerbes qu’il fait de personnes nommément désignées, il n’y a pas de doute sur son « appartenance » à la sphère des humoristes qui trouvent dans la caricature outrancière l’essentiel de leur inspiration.
Reconnaissons-le : Il y a quelque chose d’un peu gênant à se faire insulter simplement parce que l’on exerce une fonction publique sans pouvoir agir pour que cela cesse. Les Guignols de Canal + sont un exemple frappant des dérives d’une société qui ne veut plus reconnaître la notion de respect. Je ne suis pas sûr que nous devrions abdiquer sur cela. Le respect n’est pas une fioriture démodée. Il est la base même de la vie policée en société. Et là, manifestement, nous n’allons pas dans le bon sens.
Mais ce ne sont pas ces considérations qui sous-tendent désormais la levée de bouclier à l’encontre de l’humoriste. Car ce qu’on lui reproche n’est pas une infraction ordinaire. Depuis plusieurs années déjà, Dieudonné manifeste une réelle envie de ne pas respecter l’interdit de l’antisémitisme. Alors même qu’il se défend de cette accusation – et en cette occurrence, une telle qualification mérite d’être étudiée – la classe politique est désormais quasi-unanime (à l’exception notable du Front National) pour demander que des sanctions soient prises. Mais Dieudonné poursuit sans sourciller, et a inventé un signe appelé « la quenelle » que certains apparentent à un salut nazi, alors que d’autres estiment qu’il ne s’agit que d’un signe de contestation qui s’est désormais répandu chez les jeunes.
Je crois que, ainsi armé de ces quelques préalables, nous pouvons analyser cette affaire sans passion… du moins si on nous concède l’idée qu’une analyse des faits est encore possible dans notre société, sans risquer la diabolisation…
- L’idée que la liberté d’expression en général et la liberté de l’artiste en particulier puissent être invoquées pour défendre une position qui viendrait heurter les valeurs fondamentales d’un groupe quelconque d’individus, ou de bafouer une référence à une époque dramatique, ou de ne pas respecter les défunts liés à des actes sans autre justification que celle de choquer, de se moquer, de dévaloriser, d’humilier, pose réellement problème. Le pseudo artiste qui immerge un crucifix dans un bocal d’urine, les caricatures de Mahomet croquées pour en salir la référence, la folle de Femen qui investit l’église de la Madeleine et qui singe l’avortement de Marie devant l’autel… sont des inepties absolument condamnables. Que l’on ne viennent pas me dire que certains de mes exemples sont de l’art… Ce n’est, en vrai, qu’une provocation, liée comme les autres outrances à cette idée qui prévaut depuis la Révolution, que rien ne doit plus être sacré. Mais l’Etat a cessé de l’être depuis longtemps… Alors il n’est pas acceptable que l’on se paie la tête de ceux qui n’ont pas envie de souscrire au désenchantement du monde… qui n’est qu’un point de vue comme un autre. Nous répétons à satiété un adage (qui ne veut absolument rien dire, mais qui est rendu universel) : « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ». Il n’y a pas de liberté possible pour un catholique à qui l’on interdit d’exprimer sa foi et que l’on condamne à subir les blessures de ceux qui s’en moquent. C’es donc en cette occurrence que je ne suis pas d’accord avec la position du Front National qui invoque la liberté d’expression pour récriminer contre les tentatives du Gouvernement de museler Dieudonné. En d’autres termes, si l’analyse des propos de l’humoriste conduit à estimer qu’il blesse de manière évidente et forte, à la fois l’identité et les convictions profondes d’un groupe particulier, il en sera donc coupable. Est-ce une société totalitaire, liberticide et omnipotente qui serait le résultat d’une réglementation plus stricte en matière de diffamation ? Je ne le crois pas, car ce serait alors confondre l’érection des tabous que la société ne cesse de nous opposer pour orienter l’opinion publique, et le bon goût… L’éducation de qualité n’a pas besoin des sanctions pénales pour respecter autrui.
- A cette première analyse, il convient de mettre en regard le fait qu’aucun des exemples que j’ai cités (Crucifix, Caricatures et Femen) n’a donné lieu à condamnation pénale. Pour la Femen, dont l’acte décrit a été commis avant Noël, nous ne pouvons préjuger des suites donnés, mais il ne semble pas, à ma connaissance que grand chose se passera puisque la plainte déposée par le prêtre a déjà été classée sans suite.
- En ce qui concerne les propos de Dieudonné, nous avons à la fois les enregistrements de ses spectacles et ses propres commentaires sur le web (en particulier sur YouTube). Et là, il convient de prendre en compte qu’une différence d’interprétation existe entre ce qui lui est reproché et ce qu’il répond en défense. Il est clairement accusé d’antisémitisme, tandis que lui évoque une position antisioniste. Et ce n’est évidemment pas une simple question de vocabulaire, car les deux termes ne sont pas synonymes. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, les sociétés occidentales ont érigé la question juive en une sorte de sujet interdit. Les atrocités commises contre les Juifs imposaient – et imposent toujours – l’expression d’une grande pudeur et une retenue particulière. C’est ce qui est le plus souvent observé en France notamment, et c’est absolument légitime. En revanche, considérer que toute critique de la religion juive, de la politique menée par Israël, ou tout trait d’humour sur les « Juifs » en général sont frappés d’une censure ex ante et absolue, n’est pas une position tenable à deux égards au moins : En premier lieu, ce serait une sorte d’immunité accordée ex cathedra (si je puis dire) à toute personne de confession juive, quelle qu’elle soit, au regard du seul critère d’appartenance religieuse, telle une nouvelle « discrimination positive ». Cela n’est pas admissible. La population juive a été victime de la Shoah, certes. On ne peut admettre qu’elle en est encore victime aujourd’hui. Les Juifs sont des personnes comme les autres. Et leur religion doit être respectée comme les autres. Pour ma part, je déplore le peu de considération que l’on témoigne en général aux religions, et en particulier à l’Eglise catholique qui fut le berceau de l’identité de notre pays (car la France à 1500 ans). Je suis donc enclin à ne pas admettre la profanation morale et idéologique des religions qui ont tant apporté à la réflexion intellectuelle et philosophique sur ce qu’est l’homme.
- Mais à ces considérations théoriques, il faut également comparer les propos de Dieudonné avec les atteintes répétées et si peu sanctionnées à l’image de l’Eglise catholique. Dès lors que l’on classe sans suite la prestation de la folle Femen à la Madeleine, je ne vois pas comment il serait possible de paraître outré pour d’autres propos sans doute peu valorisants pour les Juifs, mais loin des humiliations des catholiques. Un tel spectacle de Femen dans une synagogue serait à n’en pas douter autrement médiatisé que ne le sont ceux dans les églises.
- La distinction entre antisémitisme et antisionisme est de taille. Même si le CRIF ne semble pas vouloir le percevoir, il serait totalement anormal que le sionisme ne puisse faire l’objet de critiques. Les Juifs sont dans le monde au même titre que les autres. La politique d’Israël, les prises de position de ses dirigents, la position statutaire des Juifs dans les autres Etats (les lobbys aux USA et ailleurs) n’ont rien à voir avec l’antisémitisme. Il ne s’agit pas de porter un jugement in abstracto sur une population, mais d’avoir un point de vue – fût-il critique – sur des actes et des positions, des postures et des points de vue. Les Juifs défendent leurs intérêts à la fois individuels et collectifs. Ils ne vivent pas en marge du monde. Ils réclament qu’on leur reconnaisse une identité. Dès lors, et spécifiquement sur le plan de cette identité qui engage des prises de position, le caractère antisémite d’une critique formulée dans cette occurrence ne serait pas légitime et entraînerait une dissymétrie statutaire injustifiable. Je dis cela, tout en ayant à l’esprit que maintes situations ont précisément conduit à des qualifications d’antisémitisme tout à fait exagérées. Pour ce qui est de Dieudonné, il ne peut être douteux que certains dérapages ont eu lieu. Mais j’ai visionné plusieurs de ses spectacles ainsi que des vidéos dans lesquelles il tente – parfois maladroitement – d’expliquer sa posture. Les propos pouvant être assimilés à de l’antisémitisme sont extrêmement limités. Cela ne signifie pas qu’il faille passer dessus. Mais la virulence des réactions politiques est tout à fait outrancière.
- Puis vint l’affaire de la quenelle… Il semble acquis par l’ensemble de la classe politique que ce geste est antisémite. Je suis désolé, mais sa création montre qu’il n’en est rien. Il a bien été, dès l’origine, un geste qui s’apparente à une marque de contestation sociale. Beaucoup de sportifs se sont fait photographier en le faisant, car il n’était alors pas connoté. C’est d’ailleurs une question qui se pose : si le caractère antisémite avait été évident, la polémique aurait démarré bien plus tôt. Son analogie avec un geste « nazi inversé » est une imbécilité inventée par la presse et reprise à satiété par des politiques opportunistes mais très mal informés. Soyons clairs… la manière de faire le geste en dit suffisamment long sur sa signification (que la bien séance m’interdit de nommer plus précisément)… ainsi que le mot « quenelle » lui-même. Nous sommes bien loin d’un geste nazi… Il suffit d’ailleurs de lister les photographies postées sur Internet de milliers de personnes effectuant ce geste sans aucune connotation, alors que quelques dizaines seulement ont le mauvais goût de l’effectuer devant une synagogue, une rue au nom juif, un mémorial ou autre. La disproportion est telle que l’on comprend que la récupération antisémite de la quenelle n’existe que par l’invention qui en a été faite postérieurement par ceux-là mêmes qui s’en offusquent aujourd’hui.
- Mais la machine politique, idéologique et bientôt judiciaire est en marche… Manuel Valls s’est fendu de déclamations tragiques pour dire qu’il allait oeuvrer pour que la machine administrative écrase l’indécent. A droite comme à gauche, on récrimine avec des cris de jeunes vierges. Les instances représentatives juives n’ont pas de mots assez forts pour clouer au pilori le monstre en puissance. Mais on ne se contentera pas de punir Dieudonné pour ce qu’il a dit. Toute la subtilité de l’affaire est de lui interdire également a priori de se produire sur scène… c’est à dire de le condamner pour des propos qu’il n’a pas encore tenu.
Comme je l’ai dit, loin de moi l’idée de défendre Dieudonné par le biais de la liberté d’expression. Ce serait la porte ouverte à une déperdition de toute valeur morale car rien ne serait interdit…
Qualifier au plus juste les propos de Dieudonné est une exigence. On ne peut lui refuser l’objectivité sous prétexte qu’il est antisioniste, puisque le droit de critiquer est fait pour tout le monde, et à l’encontre de tout le monde. La mesure et l’absence de calomnie et de diffamation en sont les seules limites. Le CRIF ne devrait pas exagérer la dérive antisémite car on ne gagne jamais à accuser à tort sinon à ne pas être crédible.
Mais il faut aussi replacer Dieudonné dans le contexte actuel d’une société qui ne connait pas les limites du respect. A force de rabaisser l’autorité politique, de piétiner les valeurs spirituelles, de s’accomoder des injures et des grossièretés, elle s’est largement désarmée face aux dérives pas forcément du meilleur goût que certains utilisent comme créneau d’existence publique. Cela rend encore plus malaisé une critique outrancière à son encontre.
Quant à la phrase de François Hollande : « Il faut approuver et soutenir l’initiative de Valls »… ce qui me dérange le plus, c’est la formulation « il faut »… car je ne crois pas que Monsieur Hollande ait une quelconque autorité morale.
Au final, on peut rappeler que Dieudonné a déjà fait l’objet de plusieurs condamnations pour des propos antisémites. Il serait selon moi dangereux d’en faire une victime d’un acharnement médiatico-politique totalement disproportionné. Car de très nombreux Français, en ces temps d’indigence identitaire, ne demandent qu’à suivre celui ou celle qui représentera le combat pour des valeurs.
La politique n’a plus sa place dans le piètre spectacle des temps modernes
Les mois passent. Chaque jour ou presque apporte une désillusion supplémentaire à une population saturée par une politique qui n’a plus de légitimité. De tous les engagements de François Hollande, quels sont ceux qui ont été appliqués et qui ne sont pas couverts par la controverse, la polémique ou l’échec notoire ?
La crise a désormais bon dos… Quand elle est partout ailleurs en voie de résorption, comment les pouvoirs publics peuvent-ils toujours s’y référer comme la cause de tous les maux ? Dans un pays qui compte encore parmi les plus grande nations du monde, le niveau de nos hommes politiques est de moins en moins en adéquation avec le travail demandé. A force de surenchère électorale, d’ambitions personnelles et de fausses compétences, nous n’avons plus pour nous gouverner que d’excellents compétiteurs… qui ne sont finalement que de piètres gestionnaires sans vision politique à long terme.
Le chômage augmente encore au mois de novembre… mais le Gouvernement continue de se fendre de communiqués sur la victoire à venir contre le chômage. Car seule la communication a de l’importance, aujourd’hui. Elle est à la base de la crédibilité superficielle. Il suffit d’affirmer plus haut et plus fort que les autres pour obtenir la légitimité. La parade de l’illusion s’inscrit désormais dans tous les aspects de la communication. Il faut des jeunes et des femmes au Gouvernement car cela fait dynamique et moderne… et tant pis s’ils sont sans expérience ; Il faut ménager tous les courants du parti majoritaire en piochant les ministres dans toutes les tendances… et fi des incompatibilités, des surenchères, des querelles et des noms d’oiseaux…
Entendons-nous bien : la critique que je formule ne concerne pas seulement l’actuel gouvernement, bien qu’il semble désormais cumuler les handicaps et les erreurs. C’est une tendance déjà observée sous les présidences Chirac et Sarkozy. Il y a une véritable mutation des hommes politiques ces vingt dernières années, sans doute trop sensibles à une société qui, ayant perdu ses repères et son identité, et totalement immergée dans un consumérisme qui modèle jusqu’à la façon de penser des individus, s’en remet ipso facto au « commercial » de la politique le plus adroit… pour ne pas dire pire.
Nous avons perdu le sens du mot politique. La gestion de la Cité ne peut se résumer à une recherche exclusive de la basse flatterie électorale et des compromis toujours a minima. La politique n’est pas cette comédie sur fond de sondage et de perspectives de conquête ou de maintien sur les sièges du pouvoir que l’on veut nous imposer. La politique réclame un esprit d’abnégation, une volonté de se consacrer aux affaires de la Cité sans rien attendre en retour sinon le plaisir du travail accompli. Jean Jaurès, Léon Blum, le général de Gaulle, Georges Pompidou, étaient de cette race de politiques. On peut être pour ou contre leurs idées politiques, mais on doit respecter en eux la passion pour la chose publique et les vertus d’un engagement d’une vie.
Alors que les questions fondamentales ne cessent de se poser à nous avec une acuité toujours plus dense – choix dans la mondialisation, compétitivité de nos entreprises, stratégie de positionnement économique, problèmes éminents de l’identité de notre pays, stratégie de Défense, chômage de masse insupportable, déficit budgétaire et dette publique, empilement des structures publiques, gabegie financière de l’argent public… nous nous contentons encore de la superficialité des élus locaux et nationaux qui entretiennent des discours redondants et superfétatoires sonnant creux.
Je ne crois pas que ces problèmes puissent être résolus par une alternance électorale. Ils révèlent une crise majeure de la société, dont on recherche le consensus « mou », et à laquelle on suggère qu’il n’y a pas d’autre réalité possible que celle dont on continue de nous vanter les mérites, contre les évidences.
Un tableau de la France en cette fin d’année 2013
Comme il est de coutume dans tous les médias, nous pouvons profiter de cette fin d’année 2013 pour tenter de dresser un tableau de la situation de la France.
« Comme il est de coutume« , dis-je… surtout quand ça va mal, comme nous ne pouvons qu’en faire le constat amer. Car force est de reconnaître que nous n’avons que bien peu de raison de nous satisfaire de la situation. Les sondages comme les études d’opinions ne cessent en effet de montrer le pessimisme ambiant qui règne en France depuis plus d’un an et qui ne semblent pas vouloir considérer que l’année qui vient puisse être fondamentalement différente.
Sur le plan politique, il est presque inutile d’ajouter au déferlement de critiques dont le pouvoir exécutif est désormais la cible quotidienne. François Hollande n’est pas à la hauteur de la fonction. Il a été élu à la présidence de la République par une double négation. A la primaire du parti socialiste, c’est par défaut qu’il fut élu, en tant que ventre mou des différents courants internes au parti. Et contre Nicolas Sarkozy, victime d’un rejet de l’opinion non seulement de gauche mais aussi de la branche conservatrice de l’UMP, il n’eut qu’à réciter un bréviaire d’inaction en perspective d’une présidence normale. Comme je l’avais mentionné plusieurs fois antérieurement à la présidentielle de 2012, et notamment dans un article « Petite analyse de science politique« , François Hollande avait également un avantage important sur son rival : d’une présidentielle à l’autre, on distingue nettement à quel point l’opinion publique vote tel un balancier, une fois pour un homme (et un programme) réformateur, ambitieux, prêt à vouloir engager un combat pour faire bouger les lignes, puis la fois d’après, pour un candidat consensuel, « juste milieu » comme dirait Verlaine, prompt à calmer l’inflation réformiste. Après Nicolas Sarkozy, la bonhomie hollandaise ne pouvait que faire merveille…
Mais la question politique ne s’arrête pas, loin s’en faut, à un problème de casting. Car la gestion de la crise, les économies à réaliser, les trois millions de chômeurs, la déconfiture de l’industrie nationale… ne devaient surtout pas être traitées par les vieilles lunes de l’Etat omnipotent dont on sait aujourd’hui qu’il n’aura été qu’un gaspillage du trop plein des « trente glorieuses » ainsi que la résultante d’une gauche révolutionnaire (parti communiste et affidés) déçue de n’avoir pas réussi à convaincre l’URSS en 1945 de transporter en France le paradis communiste du bloc de l’Est en constitution, et qui s’est jetée à corps perdu dans une surenchère de la prise en charge individuelle comme préalable à la destruction de la société capitaliste.
Or, toute en rondeur quelle soit, la gauche de François Hollande, totalement étrangère à l’économie réelle – à l’image d’Arnaud Montebourg qui pensait pouvoir contrecarrer les fermetures d’entreprises par la rhétorique et la présence médiatique – croit encore que l’emploi subventionné des jeunes suffit à déguiser le chômage en sortie de crise, et ne veut pas admettre que seul le dégonflement d’une fonction publique hypertrophiée peut redonner à l’Etat la capacité d’action. Et encore entendons-nous bien : la capacité de l’Etat à agir ne peut se faire que par la négative, c’est à dire par des mesures de baisse massive des impositions du secteur productif, et surtout pas par des interventions directes de redistribution.
Sur le plan sociétal, la France a connu une période tout à fait inédite depuis de longues années. La loi sur le mariage des homosexuels a en effet donné lieu à un vaste mouvement dont les acteurs principaux ne sont que peu politisés (même si, convenons-en, la grande majorité était de sensibilité de droite), ne formant donc pas un bloc idéologique homogène, et qui ont pu mobiliser des centaines de milliers de manifestants plusieurs fois en quelque mois, sans pour autant que la loi fût ajournée. De part en d’autre de la ligne de fracture entre les tenants et les opposants, il est notable d’observer qu’aucun dialogue ne fut vraiment possible. Doctrine contre doctrine, idéologie contre idéologie, philosophie contre philosophie, le champ des idées fut investi mais ne trouva aucune possibilité de dialectique, c’est à dire d’un dépassement des deux oppositions. A la liberté et l’égalité des situations juridiques invoquées par les partisans de la loi, il fut opposé une certaine image de la famille traditionnelle et de la filiation par ceux qui la contestaient. Comment pouvait-on entrevoir l’aboutissement d’une telle rupture, sinon par le célèbre adage socialiste de 1981 récité par André Laignel « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires » ?
Sur le plan de la cohésion nationale, les clivages idéologiques sont de plus en plus difficiles à observer. A une bipolarisation artificielle de l’échiquier politique (qui rendait bien service lors de la formation des majorités électorales, mais qui n’a jamais correspondu à l’état des idées politiques en France), on assiste de plus en plus à un émiettement des idées qui se traduit par une pression interne aux deux grands partis politiques (UMP et PS) de plus en plus menacés de déformation centripète, et par des clivages à géométrie variable entre des tendances et des courants très minoritaires (centristes notamment) mais dont le rapprochement circonstanciel peut conduire à des minorités de blocage. Enfin, le Front National apparaît de plus en plus comme un aggloméré de sympathisants venus de tous les courants politiques et trouvant une sorte d’exutoire à un phénomène de ras-le-bol à la fois économique et identitaire.
Au total, nous avons un tableau profondément pessimiste de la France. Il n’y a guère de sujets qui puissent être motif de satisfaction. Mais, disons-le de suite : nous devons nous interdire de croire que le malaise est engendré par des décisions de court terme et qu’il suffirait d’un changement électoral pour retrouver un âge d’or vertueux. Les questions fussent-elles politiques qui sont ici posées, nécessitent une réflexion d’ensemble approfondie, dépassant les cadres actuels des références politiques et faisant fi des idéologies mêmes dominantes.
C’est une belle exigence que nous pouvons nous donner à nous-mêmes pour l’année qui vient… Engager une réflexion pour un avenir…
Les contradictions intrinsèques de la société portent en germe sa propre finitude
Nos sociétés modernes reposent sur le principe de la relativité. Nous protégeons la liberté de pensée (sous entendu que chaque opinion est digne d’intérêt, quelle qu’elle soit) ; nous avançons au gré des alternances électorales dans une logique de progressisme dans la liberté des choix de vie privée, fussent-ils amoraux (la loi s’interdit toute promotion ou toute hiérarchisation de valeurs morales, laissant l’individu vivre comme il l’entend en lui autorisant toute pratique, pourvu qu’elle ne nuise pas à autrui et en interdisant par la même occasion toute tentative de critiquer autrui sur le registre d’une morale reléguée dans la sphère intime.
Nous sommes donc dans un système qui assure et assume l’individualisme comme fin ultime de la vie en société. Chaque « citoyen » est libre de vivre en marge s’il le souhaite. Ses idées sont bonnes parce que ce sont les siennes. Les valeurs normatives qui fondaient auparavant toute structuration communautaire, qui la faisait exister en exigeant de ses membres le respect des principes moraux transcendants les vies individuelles pour leur donner un sens (l’impératif catégorique kantien) s’effacent au profit de la seule idée d’individuation légitime du mode de vie.
En France toutefois, l’individualisme et la relativité s’arrêtent au rejet de la morale et de la religion : Ils ne sont pas politiques. Un fort système de répartition est instauré par l’Etat interventionniste pour corriger les inégalités, grâce au concept ingénieux – mais contradictoire sur le plan de la terminologie – de la solidarité imposée. On décide à la place du « citoyen » libre qu’il devra contribuer à telle ou telle politique solidaire, qu’il doit subvenir aux besoins de telle ou telle catégorie de la population. Il paie des impôts, mais n’a aucune emprise sur leur utilisation (et les alternances politiques ne remettent jamais en question la légitimité d’une imposition précédente, car ce serait alors admettre qu’il s’est agit d’un racket calamiteux ; tout juste peut-on critiquer la « pression fiscale », ce qui n’est évidement pas la même chose).
De ce double constat de liberté individuelle et de solidarité collective, décrite par Tocqueville comme étant un objectif continuel de la France depuis le Moyen-Age et dont la Révolution en serait le parachèvement (universalité des droits de l’homme plaçant la liberté individuelle au sommet des valeurs à défendre mais dans une évolution d’égalisation toujours plus forte des conditions de vie et des statuts), il a été tiré le seul régime politique qui incarne cette marche en avant : la démocratie. C’est même un aboutissement indépassable – puisqu’aucun autre régime ne pourrait apporter la satisfaction de ces deux postulats, si bien qu’on a pu parler de « fin de l’Histoire » (Francis Fukuyama).
Dès lors, on peut s’étonner – par delà les interprétations politiques et le brouhaha des opinions multiples qui s’expriment désormais à l’infini – de constater à quel point la société semble aller mal, traversée à la fois par une violence mortelle individuelle et collective, une incapacité de plus en plus manifeste d’agréger les individus autour de ses fondamentaux pourtant censés contenir la potentialité de la meilleure vie possible, une fronde générale liée à un ressenti négatif qui dépasse de loin la capacité de prise en compte des alternances électorales. Violence, mal-être, déstructuration, anomie… Le recul laisse songeur et rappelle des périodes préfigurant des situations pré-révolutionnaires ou de fin de systèmes.
Rien d’étonnant, pourtant, qu’il en soit ainsi. Car nous vivons dans une contradiction continuelle, intrinsèque à la société, à ses fondements doctrinaux, à ses idéaux.
Une société, par essence, est une communauté d’individus dont les membres ont en commun un destin, une histoire, une culture, une identité, des règles de fonctionnement, et surtout : le sentiment d’interdépendance. Or, nous avons aujourd’hui précisément l’inverse de ce substrat sociétal. A trop avoir voulu anéantir les principes identitaires qui servaient de vecteur au relationnel entre les individus, qui agrégeaient la somme des individus en un peuple ayant sa cohésion, nous avons laissé un champ de ruine à la place des certitudes morales et des valeurs normatives. Il ne suffit pas de parler de liberté individuelle pour créer un sens commun à une population. Au contraire, la liberté débarrassée de l’ancrage culturel et de son enracinement provoque l’anéantissement du lien fondamental nécessaire pour reconnaître en l’autre son inscription dans une identité collective qui est également la nôtre. Mais pour cela, encore faut-il que l’autre ne soit pas d’une culture étrangère incompatible ou qu’il ne désire pas s’approprier les valeurs autochtones. Il ne faut pas non plus que l’Etat fasse disparaître toute tradition d’appartenance, toute culture historique sous prétexte de « changement de civilisation ». Les banlieues sont à cet égard une source sans fin d’exemples de ce qu’il ne fallait pas faire. Mais le reste du pays souffre également que l’on ait vidé de son sens les références à la culture française.
Etait-ce inéluctable d’en arriver là ? Toute philosophie porterait-elle en germe une telle évolution ? Evidemment, non. Ce n’est qu’une conception particulière de la vie en société qui nous conduit à cela, et pour tout dire, une conception française. Nous avons crû qu’il suffisait d’ériger la liberté comme dogme absolu pour permettre l’émancipation de l’individu et l’appropriation de sa vie. Mais, en définitive, nous n’avons qu’inter-changé une idéologie à une autre. A la seconde que l’on trouvait insupportable car coercitive (la morale, le droit naturel, les principes de l’ordre chrétien) nous l’avons remplacée par une nouvelle tout aussi indépassable et puissamment intransigeante, caractérisée par un écart considérable entre la théorie et la réalité pratique (la croyance dans les vertus intrinsèques de l’individu, sa capacité à définir seul son mode de vie, la justesse de son jugement… mais à travers des choix dictés ex-nihilo, des alternatives figées et finalement sans conséquences positives).
A la notion de liberté et d’égalité – qui sont des absolus qui font tourner la tête mais qui ne sont pas applicables en soi ex abrupto et dans toute leur étendue – il conviendrait d’y adjoindre une pratique culturelle et identitaire qui puissent redonner à la France de la fierté, de la passion, du plaisir de vivre ensemble par delà les vicissitudes des problèmes économiques et des destins individuels et collectifs.
Quand l’antimilitarisme a seul la légitimité de la commémoration des guerres…
Il y a quelque chose de convenu, chaque année, dans les discours des élus locaux et nationaux, lors des commémorations du 8 mai et du 11 novembre.
On rappelle les atrocités de la guerre (avec le vocabulaire adéquat : les massacres, les boucheries, la haine des autres, les décisions politiques iniques…), on dénonce l’acharnement des chefs militaires, et on appelle de ses voeux la paix éternelle.
Après tout, qui peut être contre la paix ? Qui pourrait minimiser les souffrances des poilus dans les tranchées ? Qui oserait ne pas convenir des horreurs dont sont victimes les populations civiles en temps de guerre ?
Certes. Mais n’y a-t-il pas aussi, de la part de ceux qui nous gouvernent un devoir de vérité historique ? Car c’est en quelque sorte faire preuve d’honnêteté intellectuelle, que de rappeler que l’histoire des Etats s’est faite à travers les conflits. Consolider les limites territoriales pour permettre à une culture et une identité de s’y épanouir, consolider une présence ultramarine, défendre sa souveraineté, faire respecter le droit international, venir en aide aux Etats victimes d’agressions militaires… Tous ces motifs qui paraissent aujourd’hui suspects d’illégitimité, sont précisément ceux qui ont façonné notre civilisation et qui nous ont donné nos limites territoriales, culturelles et identitaires qui fondent la richesse de tout Etat.
Nous avons vu à quoi l’antimilitarisme des nations européennes a conduit en 1939, mais nous continuons de déplorer la guerre comme si elle ne pouvait être juste, comme si elle ne nous avait pas montré, par le passé, qu’elle pouvait se révéler salutaire pour la survie de l’Etat. La France n’avait que des bonnes raisons de se soumettre à l’envahisseur anglais au début du XIVème siècle : un pays exsangue, une population martyrisée par une soldatesque impitoyable et brutale par où elle passait, un délitement total du pouvoir politique (rappelons-nous du « roi de Bourges »). Qu’il aurait été alors facile de clamer un antimilitarisme larmoyant ! Pourtant, c’est Jeanne d’Arc qui remet un supplément d’âme dans ce Royaume décharné, et qui nous dit que pour vivre en paix, pour que se réalise la possibilité d’une vie plus douce, il faut d’abord se sacrifier encore une fois, et se battre pour son pays, terre de vie, mémoire des générations passées et promesses pour nos enfants.
On ne rend pas mieux hommage à tous les morts des guerres modernes en pleurant par antimilitarisme sur l’horreur de ces années sombres, qu’en redisant avec profondeur et respect que nous ne serions pas ce que nous sommes aujourd’hui, si sur les champs de bataille de Tolbiac, de Bouvines, de Denain, de l’Argonne ou à la Libération de Paris, dans les tranchées de Verdun et sur les plages du débarquement de 1944, des centaines de milliers d’hommes n’avaient pas considéré que leur devoir dépassait le cadre de leur propre existence.
Mais le patriotisme, la défense de valeurs propres à un peuple, la sauvegarde d’une identité tirant ses racines de l’Histoire ne peuvent plus être mis à l’honneur. Le contexte de nos sociétés actuelles, l’individualisme de nos contemporains réduits à un rôle de consommateurs sans repères normatifs, la désagrégation galopante de notre culture sous l’impact d’une immigration non intégrée, ont dessiné la nouvelle nature de l’homme moderne… anhistorique.