Dans Le Figaro du 8 octobre dernier (2009, ndlr), Pierre-André Taguieff pose la question de la possibilité de critiquer ou non la société de consommation. Il indique avec cette liberté intellectuelle salvatrice qu’on lui connaît, que si cette critique était l’apanage des mouvements « néo-marxistes ou libertaires » dans les années 60, elle semble, aujourd’hui, s’être dissoute dans le conformisme définitif d’une société qui a réussi à persuader l’individu que son bonheur était tout entier contenu dans la satisfaction du « bien consommer ».
Alors, peut-on encore critiquer une société de plus en plus totalisante par sa capacité infinie à nous absorber dans sa définition de l’individu ? Est-ce que cette société n’a pas les caractéristiques d’une société totalitaire, par sa propension à contrôler la pensée grâce à la production, en son propre sein d’une critique encadrée et contrôlée dont la finalité n’est autre que la recherche d’un optimum idéologique et non d’une remise en cause ou d’une rupture ?
Je pense ne pas trahir la réflexion de Pierre-André Taguieff en affirmant qu’il nous dit que la réflexion intellectuelle a déjà renoncé à la critique exogène de la société globale car elle n’est plus elle-même qu’une composante endogène de celle-ci… et nous sommes tentés de le croire sur parole. A gauche, nous précise-t-il, les petits bonheurs consuméristes sont devenus des acquis sociaux. La révolte sociale n’est plus tournée vers la critique d’un modèle consumériste aliénant, dépersonnalisant et culturellement abêtissant, mais vers la seule dénonciation que cette société ne puisse pas assurer à tout un chacun cet accès idéalisé à un modèle désormais jugé indépassable et auquel tout individu se prétend détenir le droit fondamental d’en atteindre l’acmé.
En quelque sorte, je crois pouvoir conclure que nous sommes désormais immergés dans l’indépassable tautologie suivante :
1. Le malaise social engendré par les fortes disparités économiques et les destructions d’emplois provoque des destructurations sociétales.
2. Le discours sur la société imparfaite prend alors plus de vigueur mais, les excès idéologiques d’extrême gauche mis à part, l’objectif non avoué n’est pas de rompre avec la structure (au sens de l’analyse structuraliste) mais de se plaindre que le bonheur consumériste n’est pas atteint.
3. Les fondamentaux idéologiques et les schèmes indépassables sont alors réactivés (c’est le pouvoir d’achat qui rend heureux ; consommer donne un statut social donc une existence ; pouvoir s’offrir les dernières avancées technologiques est la marque de ceux qui ont réussi leur vie…)
4. Le discours un temps pessimiste sur les affres de la crise perd de sa force au profit de l’optimisme sur la sortie de crise provoquant de nouveau le désir d’accéder au statut tant envié de consommateur… Le bonheur est alors en creux, comme potentiel, surtout si le temps des grandes dépenses survient (vacances estivales, fêtes de fin d’année, grandes messes des soldes).
5. Tant pis si, au vrai, rien n’a changé. Seule compte l’idée du bonheur et les symboles matériels d’une réussite intemporelle (donc immortelle).
Où l’on voit soudain apparaître une communauté de pensée entre les libéraux et la gauche…